
L’enquête publique pour l’urbanisation du Sequé IV a débouché sur un avis défavorable. C’est peu commun. Mais il faut souligner l’attention portée par la commissaire enquêtrice aux arguments des opposants, et son travail de déconstruction de la stratégie urbaine de la ville à travers de nombreux échanges argumentés avec le maître d’ouvrage.
Un avis n’est qu’un avis
Un avis défavorable est rare dans une enquête publique pour la mise en conformité d’un plan d’urbanisme (MECDU). Mais il ne bloque pas le projet. Le maire de Bayonne et président de la CAPB, maître d’ouvrage, peut renoncer. Comme le souligne le rapport d’enquête, un nouveau PLUi (Plan Local d’Urbanisme intercommunal) est en cours d’élaboration, et où est l’urgence quand le Sequé III n’a pas commencé à sortir de terre ? Etchegaray peut, à l’inverse, considérer que son autorité politique est en cause, et décider de passer en force avec l’accord du Préfet. Il peut proposer au conseil communautaire d’adopter la mise en conformité, en motivant son rejet de l’avis défavorable.

Quel que soit le choix d’Etchegaray, la perspective d’un débat sur le PADD (Plan d’Aménagement et de Développement Durable), dès juin prochain au conseil communautaire, ouvre une fenêtre d’opportunité aux opposants pour prolonger leurs propositions, en s’appuyant sur les conclusions de l’enquête publique. Le PADD est préalable aux zonages et règlements du PLUi, dont l’adoption doit intervenir fin 2025. C’est un dossier à ne pas laisser refroidir.
Le Sequé IV est pour l’instant un terrain libre de constructions, à l’exception d’une seule maison à son extrémité nord-est. Il est le long du chemin de Loustaouanou, en face des bâtiments qui vont de l’EPHAD à la maison de quartier (le Sequé I). Au nord-ouest, la zone d’activités Saint-Etienne dont il devait être le prolongement. A l’est, le Sequé II. Le Sequé III (en limite des I et II) attend ses constructions depuis 2019.

On peut imaginer que le Sequé IV soit reclassé en zone naturelle (N), voire agricole (A) ce qu’il fut par le passé. On peut imaginer aussi une zone mixte telle que proposée par plusieurs contributions à l’enquête, avec du maraîchage en permaculture et des « tiny houses ».
Sur le registre d’enquête
La mobilisation pour contribuer à l’enquête publique sur le registre dématérialisé s’est avérée plus faible que lors de la précédente, en 2019, avec 42 contributions seulement cette année. Pour l’enquête Sequé III, une grande partie venait des habitants du Sequé. Mais une fin de non recevoir avait été opposée aux remarques et propositions des habitants, de quoi les démotiver pour la suite. Le caractère répétitif du dossier a certainement aussi contribué à la démobilisation.
En fait, la participation de 2023 a même été boostée par un mode original d’intervention : l’utilisation d’une plate forme (« Risefor ») comme démultiplicateur d’une contribution. Cette plate forme (écolo, de gauche) sert pour différentes pétitions et autres.
Ici, elle a été utilisée par un réseau « d’écologie pratique » du BAB, « Vue d’ensemble » (https://www.instagram.com/vuedensemble_64/), qui, par Risefor (https://agir.risefor.org/consultations-publique/consultation-detail/@https://agir.risefor.org/consultationpublics/2/), a proposé plusieurs versions pour les contributions, de différentes tailles, mais avec la même structure : demande d’une prolongation de l’enquête, refus d’une artificialisation supplémentaire, constat d’une cité dortoir, proposition de permaculture pour nourrir le quartier, etc.
Et cela a marché : plus de la moitié des contributions reprennent cette trame. Comme toujours, une bonne partie des contributions sont anonymes, ici 20 (avec ou sans Risefor), et n’indiquent pas le lieu d’habitat (seuls 5 contributeurs disent habiter au Sequé). Au final, la commissaire n’a repéré que 2 contributions favorables au projet…
Plusieurs points soulevés dans ces contributions l’avaient déjà été lors de la concertation préalable.
– Personne ne conteste le besoin de logements à Bayonne, mais pourquoi ici ? Il n’est pas présenté d’étude comparative entre différentes localisations possibles.
– Le projet ne répond même pas à la typologie des besoins exprimés, en raison du grand poids donné à l’accession à la propriété, privée ou dite « sociale »
– Il n’y a aucune référence à l’état de l’artificialisation à Bayonne, et à la nécessité de la réduire.
– L’aspect « village » affiché par la ville ne correspond ni au vécu des habitants, ni à la faible réalisation des promesses de services, d’activités, de commerces. Il ne reste qu’une cité-dortoir.
Dans les conclusions de la commissaire enquêtrice
Selon la commissaire, 3 contributions étaient particulièrement argumentées, dont certainement celle qui a été démultipliée. Elles lui ont servi pour interroger le maître d’ouvrage.
Selon elle, cela portait sur : « – l’artificialisation des sols ; – la consommation des terres nourricières et naturelles ; – la fragilisation de l’écosystème ; – la logique de la ville de Bayonne de concentrer de plus en plus d’activités pour aboutir à une métropolisation ; – l’absence de politique ambitieuse de la ville pour mettre en place d’autres moyens, afin de résoudre la question du logement, que de construire ; – la spéculation immobilière ; – l’échec, en quelque sorte de l’écoquartier existant, dépourvu de commerces, dont les habitants sont tributaires de la voiture pour aller ne serait-ce qu’au centre de Bayonne ». Ces mêmes thèmes feront l’objet d’échanges avec le maître d’ouvrage décrits dans le rapport complet.
La commissaire ne reprend pas à son compte ces argumentaires, mais estime que « avec d’autres, tirés des réponses-mêmes du maître d’ouvrage, ils sont susceptibles, selon moi, de fragiliser la démonstration conduite par la CAPB pour justifier le bien-fondé du projet soumis à enquête ».
Ici et maintenant ?
Elle reconnaît que la ville mobilise « l’intérêt général », comme il se doit dans ce genre d’enquête, en insistant sur la nécessité du logement, et semble reconnaître le bien-fondé de la « charte de mixité sociale », pourtant chiche en logements locatifs publics.
Mais pour elle, dans ses réponses, le maître d’ouvrage a été incapable de suffisamment justifier l’urgence et le lieu.
L’urgence ? Ce PLU date de 2007 ; il a fait l’objet de 17 modifications, 8 modifications simplifiées, 4 Mecdu. Le nouveau PLUi a été prescrit en 2015, puis mis au frigidaire. Il est relancé (ce que ne savait pas la commissaire) de manière accélérée pour être adopté fin 2025. L’ancien SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) date de 2014, et un nouveau va arriver en 2024. Des nouveaux documents d’urbanisme vont voir le jour, et, selon elle, le maître d’ouvrage n’a été en mesure que de mentionner des études en cours, des résultats non approuvés, etc. Sans parler du Sequé III qui n’est pas sorti de terre. L’urgence n’est donc pas justifiée, et le « maintenant » c’est non.
Le lieu ? L’argumentaire sur l’artificialisation supplémentaire sera développée dans le rapport général. Dans cette partie « conclusions », la commissaire insiste surtout sur la petite dimension du Sequé IV (4,5 ha), peu à même de contribuer à résoudre la crise du logement.
Au final, « la CAPB ne démontre pas suffisamment, selon moi, que la réalisation de logements – qui peut dans l’absolu présenter un intérêt général – se justifie actuellement sur ces terrains du Sequé IV. Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable. »
Ni maintenant, ni ici. Fermer le ban. Et pan sur le bec de la CAPB.
Au rapport
On trouve les conclusions et le rapport complet sur le site de la CAPB : https://www.communaute-paysbasque.fr/enquetes-publiques-2/enquete/enquete-publique-sur-la-declaration-de-projet-seque-4-emportant-mise-en-compatibilite-du-plan-local-durbanisme-plu-de-bayonne#ligne₁
(Fichier 3.1 pour le rapport et 3.2 pour les conclusions synthétiques)
Les observations des « Personnes Publiques Associées » (PPA)
Le premier point soulevé concerne les avis des PPA, certains critiques. La Chambre d’agriculture, le Conseil départemental et le Syndicat des mobilités n’ont pas de réserves. La Chambre des métiers et de l’artisanat s’inquiète des difficultés de trouver du foncier pour les artisans.
Le bureau du SCoT demande que le projet soit recontextualisé à l’échelle de la commune et des différentes phases d’aménagement du Sequé. Il souligne l’absence d’une vision globale de la stratégie communale en matière de logement, et souhaiterait une ventilation plus précise du logement locatif social.
La Direction départementale des territoires et de la mer a émis un avis favorable, mais sous réserve de la production de documents et de renseignements supplémentaires, afin de sécuriser la MECDU. Elle a recommandé aussi la production d’un bilan de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, et exigé que le dossier soit complété par un chapitre sur l’application de la loi Littoral.
La Mission régionale d’autorité environnementale a recommandé de présenter un bilan du PLU afin de mettre en perspective l’opération projetée, et de préciser les éventuelles incidences environnementales.
La Commissaire apporte alors les commentaires suivants : « Si la collectivité a apporté une réponse, parfois précise, à certaines de ces recommandations, demandes, souhaits…, elle a trop souvent renvoyé à des études diligentées dans le cadre de l’élaboration du PLUi. Ou bien ces études sont en cours, ou bien elles sont connues de la collectivité, mais cette dernière n’a pas jugé utile de les communiquer ».
On retrouve dans ces observations plusieurs des critiques faites sur le registre par des habitants, des citoyens fort éclairés donc, bien que traités avec mépris par la ville. De plus, le dossier reste superficiel, ses fondements sont incertains, ou même volontairement cachés. Il ne tient pas la route.
Vous avez dit acceptabilité ?
La commissaire avait écarté un débat public et la prolongation de l’enquête, le 6 décembre, après seulement 17 demandes en ce sens, alors que la majorité est intervenue ultérieurement. Elle s’était rangée à l’avis de la collectivité.
Elle avait ainsi justifié son refus : « Cependant, la consultation du bilan de la concertation qui s’est tenue entre le 15 mars et le 15 avril 2023 (c’est-à-dire il y a quelques mois à peine) montre que la réunion publique organisée dans le quartier de Sequé a réuni 55 personnes, dont 11 sont intervenues. Elles avaient alors évoqué les principaux sujets que l’on retrouve – de manière plus ou moins développée – dans les contributions déposées sur le registre dématérialisé de la présente enquête. Une réponse leur avait été faite par la collectivité. »
A la fin de l’enquête, la collectivité a voulu argumenter davantage le bien-fondé de ce refus : selon elle, la concertation préalable avait déjà confirmé l’acceptabilité du projet, l’information pour l’ouverture de l’enquête publique avait été faite normalement. Surtout, le registre dématérialisé a reçu 597 visites, et 38 personnes seulement (Note : 42 au final), soit 6%, ont déposé une contribution. « Ce qui montre une acceptabilité du projet par la majorité des personnes s’y étant intéressée ». CQFD.
Cette fois, la commissaire semble avoir tiqué, manifestant une certaine forme de remords. Selon elle, les arguments pour ne pas prolonger l’enquête « méritent d’être nuancés ». Elle « ne saurait valider le terme d’acceptabilité du projet par la population à l’issue de la concertation préalable »

Revue thématique des objections
L’essentiel du rapport consiste à examiner, thème par thème, les objections faites par les contributeurs, et à commenter les réponses apportées par le maître d’ouvrage. Cela provoque parfois des échanges très longs.
En premier lieu, la consommation des « terres naturelles nourricières. Cela donne lieu à 7 allers retours, plus un commentaire final de la commissaire. Les premières réponses de la collectivité sont succinctes, et se contentent des généralités superficielles usuelles. Les objections de la commissaire ne semblent pas plus prises au sérieux que celles des habitants.
Mais à partir de la 3e relance par la commissaire, les réponses deviennent plus développées. Elles mélangent des références au cadre réglementaire existant (le PLU de 2007 et son PADD) dont les autres zones N existantes, avec annonces d’études en cours pour un nouveau zonage prochain : des futurs reclassements en zones N et A ; une méthode en train d’être mise au point par la CAPB pour analyser l’artificialisation ; revégétalisation de la ville en cours ; et pléthore d’autres études en cours pour la maîtrise foncière (La Feuillée, Rive Droite Adour, Montalibet, …).
Promesses, promesses, pas documentées. Cela ne convainc pas la commissaire, notamment le tour de passe passe du maître d’ouvrage, qui vante le reclassement en zone N de 6 000 m² du Sequé IV (à côté du ruisseau). Ce n’est qu’un changement administratif, de papier, d’espaces boisés classés, alors que la plus grande partie de la zone sera défrichée, y compris la majorité des bois classés.

Deuxième thème, « le projet ne répond pas véritablement aux besoins de la population en matière de logements ». La commissaire relève l’insuffisance du logement social dans le projet, et les risques d’alimenter la spéculation immobilière. A ces critiques, le maître d’ouvrage répond longuement en décrivant le règlement anti-Airbnb, la charte de « mixité sociale », la vigilance sur les prix de sortie, la lutte contre la vacance. Quant à « l’habitat léger » (les fameuses tiny houses notamment), il ne serait pas adapté au Sequé IV, et réservé à des expérimentations en zone urbaine pour l’hébergement d’urgence.
La commissaire prend acte, tout en soulignant la nécessité d’études complémentaires.

Troisième thème qui motive aussi une longue réponse, « la centralité de Bayonne est un piège pour justifier la nécessité de créer des logements ». Le maître d’ouvrage répond avec sa volonté de remplir les objectifs du PLH (Plan Local de l’Habitat) et de créer un quartier neuf au Sequé depuis 2007, la référence à la « charte d’aménagement et de développement durables » adoptée en 2020 par la CAPB, et les études en cours pour le PLUi. Sans convaincre la commissaire.
Un village imaginaire
Quatrième thème, où la commissaire fait état des critiques émises dans la plupart des contributions, « Le projet ne répond pas à un authentique écoquartier », avec très longue réponse du maître d’ouvrage. Sans surprise la réponse insiste sur les quelques boutiques ouvertes, sur la qualité paysagère. Plus encore « le quartier bénéficie de nombreux avantages que les autres quartiers n’ont pas : maison de quartier gérée par une association habitante, jardin partagé et verger, lac, environnement boisé ». Sans compter une voie dédiée aux circulations douces et une ligne de transports collectifs qui met la mairie à 20 minutes (ligne dont l’insuffisance est malgré tout reconnue).
Il est cependant admis que le quartier « présente des faiblesses et qu’il pourrait devenir zone dortoir ». Heureusement, les projets Sequé III et IV promettent d’y remédier… Et il y a la maison de quartier autogérée, qui sert d’alibi : l’ancienne ferme du Loustaouanou, transformée en maison du Sequé, est brandie, dans plusieurs réponses, comme exemplaire de la politique municipale pour le quartier.

Cela mérite un commentaire supplémentaire de ma part. La ville n’a, semble-t-il, rien appris des expériences (anciennes et partout) de construction de nouveaux quartiers ex-nihilo. On fait du logement, des promesses pour les activités et la vie sociale. Mais rien ne suit, il reste des cités dortoirs, qui deviennent « à problèmes ». Le Sequé prend ce chemin, comme tant d’autres ailleurs avant. Bien loin du village rêvé des habitants. Et de leur réalité vécue.
Prendre le problème à l’endroit, anticiper les infrastructures pour les déplacements, l’école, les activités, la vie culturelle, et ensuite seulement mettre l’habitat en cohérence avec ce qui précède, quand les conditions d’une vie de quartier sont prêtes ou en voie de réalisation proche. Cela procéderait d’une volonté politique et d’investissements financiers, d’un « logiciel » souvent étranger aux aménageurs, comme dans le cas du Sequé.
Le reste est plus succinct : « l’environnement n’est pas suffisamment protégé », « la dangerosité du site », « la santé », « les mobilités douces », « les commerces »…
Au final
Au delà de l’avis défavorable, le rapport d’enquête n’est pas habituel. La commissaire enquêtrice a pris au sérieux les critiques argumentées faites sur le registre et les a décryptées avec soin, c’est rare. En les reprenant pour les soumettre au maître d’ouvrage, elle leur a donné du poids. Au début, il lui répond comme il le fait aux habitants : des réponses lapidaires, stéréotypées, qui se veulent pédagogiques, sous-entendant qu’elle avait mal compris le dossier. Ce mépris ressenti a sans doute compté dans sa conclusion défavorable.
Les échanges révèlent, et c’est en cela qu’ils sont importants, le chaos qui règne à Bayonne pour la planification urbaine, entre les multiples modifications du PLU depuis 2007, et les transformations attendues, et en cours d’études, pour les deux prochaines années, avec les futurs SCoT, PLUi et trajectoire ZAN (Zéro Artificialisation Net). Quelque part, c’est une bifurcation qui devient nécessaire. Alors pourquoi s’obstiner sur une trajectoire caduque ?
Pour ne pas l’avoir compris, le maire de Bayonne et président de la CAPB a subi le camouflet d’un avis défavorable.
Patrick Petitjean, 26 janvier 2024

















































