
Vous avez aimé le Guillaume Kasbarian ? Vous dégusterez du Vincent Jeanbrun, le nouveau ministre. Il est partisan d’une remise en cause radicale du modèle français de logement social. Il surfe sur l’accentuation de la crise du logement pour tenterde faire accepter la remise en cause du modèle HLM. Il s’appuie sur la politique européenne en la matière, et sur des tendances répandues chez beaucoup d’élus : vive le logement abordable, priorité aux classes moyennes sur les classes populaires.
Ce billet fait suite à celui du 21 octobre sur les propositions d’Herrian Bizi
L’Europe
La crise du logement concerne la plupart des pays européens, ce qui a conduit la Commission Européenne à s’emparer du sujet. Elle prépare un rapport sur le « logement abordable ». Ce n’est pas une compétence directe de la CE, et les traditions politiques en matière de logement diffèrent très fortement d’un pays à l’autre. Les rapports de force politiques sont très en faveur de la droite au niveau européen. Pour elle, il s’agit de simplifier les dispositifs pour augmenter l’offre : pas d’encadrement ni de plafonnement des loyers, moins de logements publics. C’est un choix en faveur des marchés, qui s’adresse aux revenus intermédiaires. Les élu.es des Verts européens et de « The Left » se mobilisent contre les orientations proposées.
Les premières discussions pour ce rapport sont inquiétantes, même si la volonté d’agir est plutôt positive, selon la Fondation pour le logement (FPL). Il s’agirait de créer une nouvelle catégorie, présentée comme sociale, le logement abordable, intermédiaire entre le social public et le privé. Ce serait très régressif par rapport au logement social à la française, comme par rapport aux coopératives en Suisse ou en Autriche.
Selon le rapport de la FPL sur le mal-logement en Europe, les besoins en logement se concentrent sur les bas loyers. « Il ne s’agit pas en soi de critiquer le soutien aux classes moyennes, mais de souligner que cette réorientation s’opère au détriment des ménages à faibles revenus et des publics vulnérables, pourtant les plus exposés aux situations d’exclusion du logement », précise le rapport.
https://www.fondationpourlelogement.fr/mal-logement-en-europe-29-des-menages-en-difficulte/

Une tradition bayonnaise
Cela fait bien longtemps que la municipalité bayonnaise a introduit les mots « logement abordable » dans sa politique du logement, de manière vague au début. Il est omniprésent dans les discussions sur le PLH en 2020, lorsque la ville de Bayonne réussit à faire revoir à la baisse les objectifs fixés à l’origine par ce PLH pour ce qui la concerne. Voir ce billet :
La problématique du logement abordable est à la base des chartes de « mixité sociale ».
Elle est aussi à l’oeuvre dans l’introduction des LLI (logement locatif intermédiaire) dans le programme des bailleurs sociaux. Les LLI ne sont accessibles qu’aux classes moyennes supérieures et aux plus aisées. Voir :

Les pactes pour la mixité sociale
Le 5 avril 2023, Etchegaray faisait voter par le conseil municipal une dite « charte de mixité sociale » entre la ville, les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux, fixant la proportion des divers types de logements dans les grosses opérations immobilières. Voir toujours le billet : https://lepimentbayonnais.fr/2023/05/28/baionan-bizi-se-loger-a-bayonne-3/
Ce pacte fixait à 45% au moins (dont 30% locatifs et 15% BRS) le pourcentage de logements sociaux, et donc 55% de libres, dont au moins 15% de prix maîtrisés, pour les grands projets.
Pour les opérations plus petites, c’est différencié selon les secteurs.
Ces chiffres avaient vocation à se retrouver dans le futur PLUi, mais ont pu évoluer depuis deux ans. Le PLU en vigeur est encore plus souple. Le projet de nouveau PLUi (en attente d’enquête publique) reprend les chiffres de la charte.
Le conseil communautaire du 23 mars 2024 a adopté une « charte partenariale public/privé en faveur du développement du logement social et de l’accession libre abordable », Le glissement vers le terme « abordable » est lourd de sens. J’ai publié un 2e billet sur le pacte communautaire :
Ce pacte communautaire prévoit que dans les opérations qui ont moins de 60% de logements sociaux, les logements libres devront être, pour moitié des « logements abordables ». Les échelles de prix sont précisées, et, surtout la « cible » sociale est les ménages qui sont au niveau du plafond LLI (Logement Locatif Intermédiaire) plus 30% : autant dire les classes moyennes aisées, pas les plus proches des classes populaires. Avec, comme toujours une clause antispéculative limitée à 10 ans, et donc un obstacle très temporaire à la spéculation.
Ces pactes « gravent dans le marbre » la priorité politique pour le logement des classes moyennes. Etchegaray met l’accent sur les contraintes qu’ils feraient peser sur les promoteurs. Les bailleurs sociaux ayant pris le compétence « aménagement », ils peuvent jouer le rôle de maître d’ouvrage, et donc avoir la main par rapport aux promoteurs quand à la conception de l’opération, au-delà des typologies de logements.

Malgré ces contraintes, c’est bien d’une aide au secteur privé dont il s’agit, comme le souligne un article du journal Sud Ouest le 16 octobre avec son titre : « les bailleurs sociaux à la rescousse du privé ». Selon le journal, jusqu’à récemment, ce sont les opérateurs privés qui construisaient, et revendaient en VEFA (Vente en l’Etat Futur d’Achèvement) des appartements aux bailleurs sociaux pour en faire des HLM. Et même, ces appartements étaient vendus « à un prix inférieur au coût de production » et « le manque à gagner était répercuté sur le prix des logements libres » : les promoteurs comme bienfaiteurs des HLM, il faut oser.
Mais maintenant, comme le fait remarquer Lausséni Sangaré, directeur de HSA, les promoteurs ont besoin, vis-à-vis des banques, de justifier de la commercialisation potentielle des appartements construits. Et la garantie d’achats par les bailleurs sociaux de 55% d’entre eux (le pacte) est plus que bienvenue.
Même s’il faut pour cela que le promoteur laisse la maîtrise d’ouvrage au bailleur, et se contente de droits à construire ou de VEFA. On est d’ailleurs en droit d’espérer davantage de transparence financière sur les transactions immobilières entre promoteurs et bailleurs, au moins autant que pour celles qui existent (en principe) au niveau d’une ville.

Le nouveau ministre
Vincent Jeanbrun, membre exclu de LR, est porteur d’idées radicales pour le logement et la politique de la ville.Il avait présenté en juin un rapport « Réparer les quartiers. Rétablir la République », où il affirmait : « Il est urgent et nécessaire de protéger les honnêtes gens qui n’aspirent qu’à vivre en paix et en sécurité contre toute la violence qu’ils subissent au quotidien ». Il y propose la fin du logement social à vie au profit d’un bail à durée déterminée.
Il propose en outre de permettre « aux bailleurs sociaux d’expulser les locataires qui causent des troubles à l’ordre public dans l’ensemble du quartier sans avoir à saisir la justice ».
Et de suggérer, parmi les conditions pour bénéficier d’un logement social et s’y maintenir, un casier judiciaire exempt de condamnation pendant dix ans pour des faits de violences et de trafic de drogue.
Il enfourche le combat de l’extrême-droite contre « l’assistanat » en proposant de donner la priorité à ceux qui sont en situation de travail dans l’attribution d’un logement social. Il plaide pour inverser la loi SRU en limitant à 30% le nombre de logements sociaux dans chaque commune. Il encourage la vente massive des HLM à leurs locataires. Tous propriétaires, c’est la France rêvée de Jeanbrun. Comme des promoteurs.

Ventes de HLM au Pays basque
Ce n’est pas la première fois qu’un ministre pousse à la vente de HLM. Les bailleurs étaient plus que réticents au début : l’Etat baisse ses concours financiers sous prétexte que ces ventes abondent leurs fonds propres. Avec ou sans états d’âme, ils sont contraints d’appliquer la politique gouvernementale.
Ils se sont donc mis à ces ventes, mais « avec modération ». On voit régulièrement des annonces dans la presse « HLM à vendre ». Dans le supplément immobilier de Sud Ouest du 16 octobre, le bailleur Office 64 indique qu’il vend entre 5 et 10 HLM chaque année, vente réservée à ses locataires qui ont au moins 2 ans d’ancienneté. La vente se fait en BRS « pour que le bien reste dans le contingent des quotas SRU de logements sociaux ». Dont acte : il s’agit d’un transfert d’un logement locatif public à un logement semi-privé, sans d’ailleurs que l’argument de la sauvegarde du foncier public ne soit évoqué,pour le justifier. Cela diminue le parc locatif : on peut se demander si ces ventes sont toujours compensées par un nombre équivalent de constructions supplémentaires.
De son côté « pour soutenir ses fonds propres », HSA se fixe l’objectif de 20 ventes par an, en BRS, mais sans les réserver à ses locataires.

Les engagements demandés par Herrian Bizi en vue des élections municipalesde 2026 demandent donc une réorientation très importante de la politique municipale du logement à Bayonne. En particulier le 1er engagement « investir plus de moyens financiers que le mandat précédent ». Même si l’écart n’a jamais été aussi grand entre les besoins d’un côté, l’état des finances locales, le désengagement de l’Etat et le coût de la construction de l’autre. Quel.le.s candidat.es sauront répondre positivement à cet appel ?

Patrick Petitjean, 26 octobre 2025