Qui veut tuer les Fêtes de Bayonne ? (1)

2011

La mort de Patrice Lanies lors des dernières Fêtes a servi de révélateur au tour insupportable pris par ces fêtes au fil des ans. Poursuivre sur le même modèle ne peut que conduire à la mort des Fêtes. Nombre d’habitants l’ont bien compris, qui débattent depuis cet été de la manière de les refonder. Ce n’est pas la direction prise par le duo Etchegaray et Ugalde pour qui seuls des ajustements techniques seraient nécessaires, sans changer de modèle. Premier volet de 3 articles sur les fêtes de Bayonne.

On ne peut continuer ainsi

Que reste-t-il d’une fête populaire ? Un méli-mélo programmatique occultant des réussites culturelles de moins en moins nombreuses, la surfréquentation, un centre ville devenu quasi-inaccessible pour ses habitants, l’alcoolisation à outrance et la saleté des petits matins qui va avec, la multiplication des incivilités et des agressions sexuelles, des habitants qui fuient Bayonne le temps des Fêtes.

Dans un tel contexte, l’assassinat de Patrice Lanies, pour avoir voulu dissuader un homme d’uriner sur sa porte, a été la goutte d’eau qui fait déborder l’exaspération des habitants. Il n’est plus possible de continuer comme cela, telle est le sentiment qui se diffuse dans la ville depuis août dernier.

2011

Sud-Ouest (édition Pays basque), en journal local parfois sensible à l’atmosphère de la ville, ne pouvait que s’en faire l’écho. Il a consacré une double page le 9 septembre avec les réactions d’habitants :«  beaucoup sont pour un tournant radical ».

Une pétition citoyenne

Depuis, les critiques se sont amplifiées, avec la création d’un « collectif 2032 » (en 2032, on têtera le centenaire des Fêtes, du moins il faut l’espérer) composé d’acteurs des Fêtes, et une pétition de « citoyens bayonnais », lancée le 25 septembre. Elle compte 1670 signataires au 17 novembre, et on peut toujours la signer : https://www.change.org/p/f%C3%AAtes-de-bayonne-nous-souhaitons-une-consultation-des-habitant-e-s-mettons-les-habitants-au-c%C5%93ur-des-festivit%C3%A9s-signez-la-p%C3%A9tition-et-partagez-svp

Je reviendrai dans le 2e volet de cette série, sur les différentes critiques faites, et qui vont très au-delà de ce qui est reconnu par les élus, à travers les prises de position de groupes d’habitants et d’élu.e.s de l’opposition municipale. Dans le 1er volet, je vais d’abord passer en revue la défense de leur modèle des Fêtes par le maire et ses adjoints, en partant de la 2e double page consacrée aux Fêtes par Sud Ouest le lendemain 10 septembre, avec les réactions des élus. Une défense qu’ils ont prolongée lors du conseil municipal du 19 octobre.

Les élus face à Sud Ouest

Pierre Mailharin, le journaliste auteur de ces deux articles, s’est appuyé sans détour sur les critiques entendues pour poser des questions directes, voir « punchy » aux trois principaux responsables : Jean-René Etchegaray (JRE), le maire ; Yves Ugalde (YU), l’adjoint à la culture et à l’évènementiel ; Christian Millet-Barbé (CMB), l’adjoint à la sécurité ; ainsi qu’Henri Lauqué (HL), président depuis 28 ans (mais oui!) de la commission extra-municipale des Fêtes (non-élu). Aux questions posées, les réponses des élus font apparaître plus que des nuances, entre un YU à fond dans le négationnisme des problèmes rencontrés, un CMB qui ne sort pas de sa fonction sécuritaire, et un JRE plus flou, moins bloqué, prêt à envisager des changements cosmétiques. Aucune interrogation sur le modèle actuel des Fêtes, au contraire. Tous mettant en avant des réponses techniques. Et tous sur la défensive.

Les articles de Sud Ouest étant réservés aux abonnés du journal, voilà donc ici l’essentiel (à mon avis) des questions / réponses des élus.

Pas d’exaspération des habitants.

JRE conteste d’emblée le journaliste qui affirme que « les Bayonnais sont exaspérés » par des « Fêtes saturées ». Il ne veut parler que de « surdensité », conséquence du « théâtre exceptionnel » que constitue le centre historique. Il évalue la participation à 1,3 millions de personnes (le Sous-Préfet a avancé 1,4 millions) sur 5 jours, avec une hausse vertigineuse de la fréquentation des campings, + 45 %, ce qui est une manière de pointer les jeunes du doigt.

Mais surtout, qu’on ne voit pas dans le marketing territorial éhonté de la ville (et des journaux) pour attirer les gens, non, c’est un phénomène « psychosociologique » post-covid, dit JRE.

Quant à la disposition géographique du centre ville, HL rappelle que l’amplitude géographique a déjà été élargie, ainsi que l’amplitude horaire, mais que cela n’a rien changé à la densité. Ce n’est pas surprenant, et un nouvel élargissement des lieux attirera davantage de fréquentation. C’est un phénomène bien connu de la circulation automobile : quant on ouvre de nouveaux espaces pour les voitures, elles l’occupent. C’est l’effet « aspirateur ».

2023

« la surfréquentation n’est-elle pas devenue très dangereuse ? »

En réponse à cette question du journaliste, CMB est dans un complet déni : « pas de comportements anormaux qui auraient pu être générés par cette densité, une baisse spectaculaire de la délinquance », « c’était assez exemplaire »… Il admet quant même les plaintes pour viol et le « drame absolu de la mort de Monsieur Lanies ».

JRE abonde dans la minimisation « il y a eu deux fois moins de gardes à vue ». Selon CMB encore, le PC sécurité n’a jamais été alarmé. La densité peut provoquer des bousculades, des piétinements, mais c’est tout. Ce n’est pas ce qui remonte des témoignages, en particulier des femmes. Difficile de se sentir en sécurité dans une ambiance violente et machiste.

2014

YU donne dans l’indécence, expliquant que la mort de Patrice Lanies n’est pas liée aux Fêtes, qu’elle aurait pu se produire avant ou après, que de tels « faits dramatiques » se produisent aussi ailleurs et avec moins de concentration humaine. Circulez, il ne s’est rien passé…

JRE et CMB reconnaissent la quasi-impossibilité des secours d’accéder au coeur de la fête, et même des services de sécurité à pied.

Si JRE admet qu’il faudra peut-être brider les Fêtes, en limitant leur jauge à la fréquentation de 2023, « il ne sera pas celui qui mettra un terme à ce qui est leur ADN ». Attribuer une caractéristique biologique aux Fêtes, c’est de l’anthropomorphisme, mais il n’est pas certain que cela signifie plus que : on ne changera rien.

Incivilités et musiques : JRE en ami des cafetiers restaurateurs

2023

A propos des nuisances sonores, question soulevée par le journaliste, JRE intervient en défense des cafetiers : « une immense majorité de cafetiers jouent magnifiquement le jeu, qu’il ne soit pas écrit que le maire est furieux contre eux ». Il n’y a que quelques brebis galeuses, 35 PV seulement ont été dressés, avec la moitié de récidivistes. Cette défense des cafetiers est une constante de JRE et de ses collègues.

Est soulevée aussi la question de la musique en plein air, ce que certains habitants appellent « une discothèque à ciel ouvert ». En journée, la musique est plébiscitée par les habitants.

2012 Plébiscitée, mais de plus en plus étouffée

HL et JRE défendent les « propositions musicales » en soirée, malgré les abus (selon eux) de certains DJs qui proposent de la musique « de fête » (?), et à condition d’éviter la cacophonie (qui est pourtant ressentie par les habitants). YU va dans la surenchère : « sans proposition à la dimension de la fréquentation, on provoque une forme d’errance. On l’a vu à la foire au jambon, à partir de 20h c’est devenu glauque ».

2015

Les mictions publiques sont une autre incivilité mise en avant. A l’évocation du modèle « Pampelune » par le journaliste, où les bars ouvrent leurs toilettes au public, YU reconnaît que les comptoirs extérieurs empêchent de le faire à Bayonne, mais que « une opposition radicale aux comptoirs extérieurs » (souvent rejetés par des habitants) « serait une fausse bonne idée », source d’insécurité. JRE et bien plus nuancé : selon lui, les comptoirs extérieurs sont là pour réguler les choses, mais ils participent d’une vraie « forme d’exaspération ». Et il propose d’y répondre par une « gouvernance consolidée ». Il s’en expliquera davantage en fin d’entretien.

Quand le journaliste évoque la critique des habitants sur le caractère commercial des Fêtes qui prend le pas sur la dimension culturelle, JRE rétorque qu’il refuse de leur « faire un procès général » : « ils font certainement de bonnes affaires pendant les Fêtes, et la plupart jouent le jeu et participent à l’animation de la ville toute l’année. A ceux qui nous disent que les Fêtes devraient être financées par les cafetiers, ce n’est pas réaliste deux secondes ».

Cette défense du modèle commercial et économique des Fêtes s’étend au maintien de leur caractère payant (le bracelet), une cible récurrente des élus minoritaires ou oppositionnels.

« On va convoquer le temps et l’espace » (JRE)

Changer les dates, élargir le périmètre des Fêtes, sont les solutions miracles avancées par les élus pour reprendre en mains les Fêtes. Ce sera le cas en 2024, pour cause des JO : elles auront lieu entre le 10 et le 14 juillet. Une expérimentation selon JRE, qui paraît ouvert à la recherche de nouvelles dates, y compris en juin ou septembre. Il est aussitôt recadré par YU, pour qui refuse une éventuelle concurrence avec les voisins (Dax, Mont-de-Marsan et Pampelune) et les difficultés pour la présences des enfants en dehors des vacances.

Pour l’espace, on réfléchit, disent les élus en choeur. Eloigner les forains sur les Allées Paulmy, pour libérer les Allées Boufflers et le Réduit, les habitants sont favorables mais pas les forains. Annexer Saint-Esprit ? Ou même, selon HL, s’étendre quai de Lesseps, aaprès l’Atalante et le Didam, pendant quelques années avant le démarrage du grand projet urbain ? Pour YU, ce ne sont que des « concepts ». L’élargissement à Mousserolles (réalisé cette année), et les forains à Paulmy, cela suffit.

La gouvernance

Selon le journaliste, il est reproché que les décisions pour les Fêtes ne soient prises que par un petit groupe de personnes. Ce à quoi JRE répond qu’au final, il sera toujours le seul responsable en tant que maire, celui qui peut être déféré devant un tribunal. Il récuse le procès trop rapide fait à la commission extra-municipale des Fêtes. YU et HL abondent dans son sens. Selon HL, 90 % du programme vient de propositions d’associations à travers cette commission

JRE annonce des constats partagés et un élargissement des consultations : cafetiers-restaurateurs, forains, penas (les acteurs économiques) et même des représentants des habitants. Cela reste très loin d’un vrai débat public, ce que confirmera le conseil municipal du 19 octobre.

le Conseil municipal du 19 octobre

Le débat sur les fêtes a pointé son nez lors du conseil municipal du 19 octobre à l’occasion d’une délibération à voter pour rembourser à l’Etat les frais de participation des forces de l’ordre à la sécurité lors des fêtes. En répondant aux interventions de plusieurs élus des oppositions (Mixel Esteban, Henri Etcheto, Mathieu Bergé et Sophie Herrera-Landa) en marge de la délibération financière, interventions sur lesquelles je reviendrai dans le 2e volet, le maire et son adjoint à la culture ont pour l’essentiel confirmé leurs réponses de septembre à Sud Ouest.

Ce débat est accessible sur la vidéo du Conseil, approximativement entre 1h54 et 2h24.

JRE a informé que le bilan était en cours au sein des commissions municipales, et invité les élus à y participer. Comme bilan, JRE s’est posé en victime impuissante d’une part de la structure médiévale de la ville, d’autre part de la surfréquentation : « il faut le reconnaître, on n’y peut rien ». Après le bilan, les perspectives : JRE a confirmé les deux points en discussion : les dates, et le périmètre géographique. Autant dire que la discussion est étroitement encadrée par JRE.

Tout en annonçant une séance spéciale du conseil municipal le 4 décembre pour conclure le débat sur les Fêtes, il a tout aussi étroitement défini le périmètre des habitants autorisés à débattre d’ici-là : Dans l’ordre, les cafetiers-restaurateurs, les associations des Penas (soit les acteurs économiques, et les membres des Conseils de quartier (quelques dizaines de personnes). Tout cela, très loin donc des habitants. JRE a insisté sur le fait que c’est le Conseil qui décide et que lui est seul responsable. Et qu’il n’est pas question de remettre en cause les Fêtes (comprendre leur modèle), comme le veulent certains habitants.

Mais un débat où les participant sont quasi exclusivement les acteurs économiques des Fêtes, ceux qui en tirent profit, est biaisé d’avance.

Quant à YU, il a commencé par un lapsus très révélateur, en parlant de la mort de Patrice Lanies comme d’un simple « incident », avant de se reprendre rapidement et de la qualifier de «accident dramatique ». Et de confirmer son argumentation de septembre dans Sud Ouest : il y a aussi des incidents dramatique ailleurs, c’est moins grave à Bayonne qu’ailleurs, il y a les mêmes incivilités que ce soit payant ou non, l’augmentation de la fréquentation est générale. Bref, circulez, il n’y a aucun problèmes avec les Fêtes. On est dans l’extrême conservatisme.

Autres fêtes, mêmes problèmes

Le refus de changer de « logiciel » pour les Fêtes les conduisent à terme dans le mur, et à leur fin. Faudra-t-t-il compter sur le Préfet pour ramener les élus au sens des réalités ? Il vient de le faire en ce qui concerne les lâchers de lanternes à Bayonne au moment de Noël, qui seront interdits à partir de 2024, à cause des risques d’incendie. Il aurait pu mentionner aussi l’aspect environnemental, d’envoyer des déchets dans l’atmosphère. Sans surprise, YU a regretté cette décision dans Mediabask, au motif qu’il s’agissait d’un « moment féérique » et que les retombées économiques étaient importantes. Et déjà une « tradition », donc à ne pas remettre en cause, même si elle ne date que de 2014.

La question de la foire au jambon est aussi revenue dans l’actualité ces derniers jours. Une tradition dite « ancestrale », dont la fréquentation avait explosé en 2023, avec 460 000 participants, des foules compactes rendant impossible les dégustations. On y est venu pour boire, comme pour les Fêtes. Et là encore, JRE ne propose qu’un changement de date, sans remise en cause du modèle et du marketing territorial

Il est urgent de changer de modèle pour redonner envie aux habitants de faire la fête, de participer à la fête de leur ville. C’est la question.

A suivre

La logique de la pétition de « citoyens bayonnais » (voir plus haut) est inverse de celle de JRE et YU. Elle donne des pistes pour refonder et sauver les Fêtes de Bayonne, même si elle a quelques manques. J’y reviendrai dans le 2e volet.

Dans ce 2e article, on reviendra sur d’autres problématiques dont certaines (mais pas toutes) ont été soulevées par les élus non-majoritaires, comme l’environnement, l’alcoolisation, le bilan carbone, l’importance des violences sexistes et le support qu’elles trouvent dans l’ambiance de violence et de machisme amenée par les corridas, la folklorisation et l’infantilisation au détriment des cultures populaires basques. Et ce qui fait tenir le modèle actuel, le marketing territorial et le surtourisme valorisé au-delà des fêtes.

Dans le 3e article, je tenterai de sortir du conformisme des débats de l’institution municipale : sauver les Fêtes de Bayonne nécessite plus de débat public, de radicalité et d’imagination.

Xan Ansalas pour les photos des Fêtes.

Captures d’écran du Conseil pour les élu.e.s

Patrick Petitjean, 18 novembre 2023

En complément de dernière minute

Ce samedi 18 au matin, quand ce billet part sur le site du piment, Sud Ouest publie des « brouillartas » où il se paie (gentiment) YU (adepte aussi de l’ADN)

Au feu les lanternes

Un risque de propagation du feu. Voilà, d’après la préfecture, la menace que font peser les lanternes volantes lâchées à Bayonne pour Noël. Les représentants de l’État soulignent que les pompiers partagent ce constat. Fermez le ban. Ce sera la dernière des lanternes cet hiver. Et l’adjoint à la culture de Bayonne, Yves Ugalde, de tiquer. « Il y a un débat », lâche-t-il. Cela ressemble plus à un désaccord profond, au vu de sa grimace. Il faut dire que le très « instagrammable » lâcher rassemble chaque année des milliers de personnes.

Noël jusqu’à 23 heures

Noël toujours, et toujours à Bayonne. Où le même Yves Ugalde a évoqué, lors de la présentation des animations de fin d’année, les efforts réalisés par la mairie en matière de sobriété énergétique. Ici, les décorations lumineuses de Noël, des LED peu consommatrices d’énergie, sont éteintes à 23 heures. La facture s’en voit considérablement allégée et l’environnement se porte mieux. Seulement voilà, un débat (encore) existerait à propos de futurs efforts. « Ce débat existe, assume Yves Ugalde. Je fais partie de ceux qui restent vigilants : les efforts environnementaux sont fondamentaux, mais il ne faudrait pas que l’ADN de notre ville, qui aime Noël, en pâtisse. »

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