Procès en appel contre l’usage du nom « La Négresse » à Biarritz

Jeudi 16 janvier 2025, quatre ans après le dépôt du recours contre le nom de « La Négresse » donné à un quartier et une voie communale de la ville de Biarritz, s’ouvre le procès en appel devant la cour administrative d’appel à Bordeaux. Mémoires & Partages avait déposé un recours en décembre 2020 devant le tribunal administratif de Pau pour faire annuler les décisions de la mairie de Biarritz attribuant ces dénominations, mais il fut rejeté en décembre 2023. Il arrive devant la cour d’appel.

L’annonce du procès en appel a été faite par l’association Mémoires & Partages dans un communiqué du 19 décembre dernier.

Basée à Bordeaux, à Dakar, La Rochelle, Le Havre, Bayonne et Paris, l’Association Internationale Mémoires & Partages a pour objectifs de promouvoir un travail de mémoire autour des mémoires et héritages de la colonisation, de la traite des noirs, de l’esclavage et du racisme.

Mémoires & Partages devant le Didam à Bayonne le 27 avril 2021 pour un hommage « Black Lives Matter » avec Karfa Diallo

A l’initiative de Karfa Diallo, elle a été fondée en 2015. Elle est issue de l’action menée par les associations DiversCités et de préfiguration de la fondation du mémorial de la traite des noirs qui ont œuvré de 1998 à 2015 à la défense et la réhabilitation de la mémoire de la traite des noirs et de l’esclavage à Bordeaux (France).

A Bayonne, Mémoires & Partages a organisé depuis 5 ans différentes visites de lieux (bâtiments, noms de rue,…) qui sont associés à la traite négrière. Un passé sur lequel l’histoire officielle de la ville restait muette. Une redécouverte pour beaucoup d’habitants de la ville, à défaut d’être surprenant.

Dans son communiqué, l’association Mémoires & Partages note que cette cour administrative est celle qui juge aussi en appel, depuis le 19e siècle, de toutes les affaires de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Elle fait également remarquer, autre particularité, que cette cour siège dans l’ancien Hôtel particulier de la Famille Nairac (https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_Nairac). Elle détaille ur on site l’histoire très significative de ce lieu :

La suite du billet est reproduite du communiqué de Mémoires & Partages

« La NÉGRESSE »

C’est le surnom donné à un quartier de Biarritz depuis le XIXe siècle, en raison de la présence d’une ancienne esclave noire qui travaillait dans une auberge du quartier, qui s’appelait auparavant Harausta (« endroit poussiéreux » en basque). Ce sobriquet lui a été donné par les soldats napoléoniens et sert à désigner le quartier. Elle ne pouvait qu’être déportée par ses « maîtres » puisque la police des noirs (instituée en 1776) obligeait à la déclaration et à la surveillance tous les esclaves qui rentraient sur le sol de France.

Les termes de « Nègre » ou « Négresse » ne sont pourtant pas anodins, et certainement pas de simples synonymes de « noir/noire ».

Ils servaient à désigner une personne noire, quand celle-ci est vidée de son humanité, seule manière pour les sociétés européennes de rendre moralement acceptable leur mise en esclavage, alors même que cette pratique était vigoureusement combattue quand il s’agissait de « blancs ».

Ces termes portent donc en eux la marque d’un crime contre l’humanité, qui a vu déporter des millions d’Africains, afin de travailler comme esclaves dans les plantations coloniales.

Plusieurs fois objets de critiques, la persistance de cette dénomination raciste pour le quartier de Biarritz est une injure au vivre-ensemble et à la reconnaissance de la composante noire de l’histoire de France (richesse apportée à la métropole par le travail des esclaves, participations des « tirailleurs » et troupes coloniales dans plusieurs guerres françaises, enrichissement culturel, sportif, etc.).

Pour l’écrivain martiniquais, Patrick Chamoiseau, 

« LES CHARGES DU MOT NÈGRE
– Charge d’insulte et de négation humaine surgie de la Traite, de l’esclavage, du système des plantations. 
– Charge positive insufflée par la Négritude et les grandes résistances qui firent du crachat un combustible.
LES EMPLOIS DU MOT :
 – Quand Césaire et Fanon l’emploient, c’est un étendard d’affirmation de soi et d’inscription dans une résistance historique. 
– Quand Zemmour ou son engeance l’utilisent, c’est la charge négative et la vaste insulte qui se voient signifiées. ». 

Une histoire de la contestation de cette dénomination

SOMMET DU G7 – 22 AOUT 2019

Lors du sommet du G7, le 22 août 2019 devant la gare de Biarritz, des adhérents de M et P distribuèrent une information au public à ce sujet. La ville était alors quadrillée par les forces de l’ordre qui interpellèrent Karfa Diallo coupable de ne pas vouloir cesser sa distribution d’informations.

Nos avocats William Bourdon et Colette Capdevielle démonteront avec brio dans leur plaidoirie que ce dossier était monté de toutes pièces par les policiers. Le délibéré du tribunal du 14 janvier 2021 ne souffre d’aucune ambiguïté puisque non seulement il relaxera Karfa Diallo du chef d’accusation « de rébellion » mais en plus il déboutera les parties civiles (les deux policiers) de leur action.

REFUS RÉPÉTÉ DE LA MUNICIPALITÉ

Devant le refus répété, depuis 2013, des différentes municipalités de tous bords à la tête de la ville de Biarritz d’entamer une démarche apaisée de changement de nom du quartier, l’association Mémoires & Partages a été contrainte de déposer le 2 décembre 2020 un recours au Tribunal administratif de Pau, afin de faire annuler les délibérations « illégales », de 1861 et 1986, ayant octroyé le nom de « La Négresse » à un quartier et une rue de la commune.

DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PAU

Le 22 décembre 2023, le juge administratif a avancé un argument incompréhensible selon lequel cette appellation était bien « péjorative » mais que ce n’était pas « une atteinte à la dignité de la personne »

COUR D’APPEL 16 JANVIER 2025

En soutenant que cette appellation était bien « péjorative » mais qu’elle n’était pas attentatoire à la « dignité de la personne », le juge administratif s’enferme dans la contradiction et ignore les représentations caricaturales, racistes et existes, qu’entraine une telle dénomination sur l’espace public et les violences symboliques qu’elle inflige à nos concitoyens, noirs ou blancs.

L’audience du 16 janvier 2025, au sein d’un lieu marqué par l’histoire du crime contre l’humanité qui a donné naissance à cette appellation, est une occasion pédagogique exceptionnelle que nous comptons bien saisir.

Nous remercions le Cabinet Bourdon & Associés de son constant et convaincant travail de défense des libertés publiques.

Nous sollicitons votre aide pour poursuivre poursuivre la pédagogie antiraciste et antisexiste que nous avons commencé. Nous savons d’expérience que déraciner le racisme est une entreprise de longue haleine et que dans le combat pour les droits civiques la justice occidentale a aussi ses propres biais.

La lutte continue !

Communiqué du Réseau Mémoires & Partages, Bordeaux, 19 décembre 2024

Climax (Darwin, Bordeaux) 2023

tribune de la séance d’ouverture

Les 15-17 septembre, c’était la 9e édition du festival Climax à Darwin (Bordeaux) qui, après « Les Résistantes » au Larzac, s’est placé cette année sous la bannière « Resist ». Comme toujours, il a revisité les thèmes essentiels de l’écologie avec une focale spécifique sur les peuples autochtones et ce qu’on peut apprendre d’eux : Resist. Il s’est terminé par un appel urgent de Raoni contre la remise en cause de leurs terres par le parlement brésilien.

Tables rondes et conférences dans la journée, concerts le soir, un « village des activistes » avec une trentaine d’associations, il y en a pour tous publics à Climax pendant 3 jours.

Ce serait trop long de parler en détails des sujets débattus. Je vais me concentrer sur 3 moments forts ou plus originaux, et donc juste mentionner les autres thèmes qui furent abordés : climat et migrations, dont une table ronde avec SOS Méditerranée et une conférence de François Gemenne ; Ecologie radicale et désobéissance civile avec Greenpeace et les Soulèvements de la terre ; une table ronde sur « la résistance en héritage » avec de très nombreux invités (voir la photo) ; une table ronde « Resisters, alliances sororales pour la défense du vivant » ; et un « stand up » de Paul Watson (la séance la plus suivie, avec plusieurs centaines de participants), mis à l’écart de Sea-Sheperd global, mais toujours soutenu par la branche française (la plus nombreuse).

(tribune pour le débat « la résistance en héritage »)

En complément du festival, a été organisée une « marche des fragilités », en solidarité autant avec les espèces en voie d’extinction que les humains en situation d’exclusion. Elle s’est terminée par une offrande à la Garonne pour lui donner une dimension spirituelle.

L’appel de Raoni pour les droits fonciers des peuples indigènes

(Raoni lors de la séance d’ouverture)

Commençons donc par la fin. Depuis l’époque Bolsonaro, le lobby agro-industriel et les parlementaires de droite et l’extrême-droite essaient de détricoter le processus de démarcation des terres indigènes, datant de la constitution post-dictature. Sur ces terres, il y a reconnaissance des droits fonciers historiques de ces peuples, ce qui va avec de nombreuses mesures de protection des terres.

La loi que la droite et l’extrême-droite est en train de faire voter, dite « seuil temporel » (« marco temporal ») est de limiter dans le temps cette démarcation aux peuples qui le réclamaient déjà avant la constitution de 1988. Cette loi comporte aussi d’autres mesures tout aussi régressives.

Voir : https://blogs.mediapart.fr/pindoramabahiaflaneur/blog/080623/bresil-le-marco-temporal-signifie-continuer-voler-la-terre

Droite et extrême-droite sont assurées de la majorité dans les deux chambres au Brésil. Tout ce que peut faire Sonia Guajajara, la ministre indigène, c’est de retarder les votes pour laisser le temps au tribunal supérieur fédéral de se prononcer sur le projet de loi, et, sinon le rejeter, du moins en enlever les aspects les plus dangereux.

Voir : https://www.autresbresils.net/Seuil-temporel-Sonia-Guajajara-veut-un-debat-approfondi-au-Senat

https://observatoiredemocratiebresil.org/Seuil-temporel-le-Tribunal-Superieur-Federal-suspend-les-debats-sur-demande-d

Au moment même où cet article va être mis sur le blog, le journal Le Monde nous apprend que le Tribunal supérieur fédéral vient de rejeter la thèse du seuil temporel le 21 septembre. Les peuples indigènes ont gagné. https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/22/au-bresil-les-indigenes-remportent-un-proces-crucial-pour-la-sauvegarde-de-leurs-terres_6190407_3210.html

Par hasard, la question générale des droits fonciers des peuples indigènes s’est invitée à Bruxelles, où est débattue une directive sur « le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité », qui devait inclure une référence aux droits fonciers des peuples indigènes et à la déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones (septembre 2007).

Problème : l’État français refuse la reconnaissance de droits fonciers spécifiques pour les peuples indigènes sur son territoire, dont la Guyane, au nom de l’égalité entre tous les citoyens. Une partie de la Commission Européenne veut retirer la référence aux peuples indigènes. Macron est devant une belle contradiction : soutenir les droits des peuples indigènes en Amazonie, sauf en Guyane…

Un nouveau thème : l’écologie décoloniale

Pour la première fois, je crois, le thème de l’écologie décoloniale a fait l’objet d’un débat, avec Soraya Fettih (350.org) et Karfa Sira Diallo (Mémoires et Partages).

Dans cette table ronde intitulée « écologie décoloniale : pour refaire un monde commun », il a été beaucoup question des origines coloniales du conservationnisme, mais aussi de l’actualité de l’héritage colonial dans une affaire comme celle du chlordécone aux Antilles, et plus globalement sur les relations entre écologie et colonialité (c’est-à-dire la persistance des schémas de pensée, des relations économiques et des dominations héritées de la période coloniale), avec une référence constante au livre de Malcom Ferdinand, « Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen » (2019).

Karfa Sira Diallo, Bordelais, élu au Conseil régional avec EELV, est connu pour son travail sur la mémoire de l’esclavage, en particulier sur le passé négrier de nombreux ports français de la côte Atlantique. Il organise régulièrement des parcours sur ce sujet à Bordeaux, mais aussi à Bayonne comme encore ce dimanche 17 lors des journées du patrimoine. https://memoiresetpartages.com/

Soraya Fettih est principalement intervenue sur le projet EACOP, ce projet dévastateur d’exploitation pétrolière et d’oléoduc de Total en Tanzanie et Ouganda, contre lequel se battent les populations locales et des ONG. Voir cette lutte :

https://multinationales.org/fr/actualites/projet-eacop-totalenergies-plus-que-jamais-sous-le-feu-des-critiques

On peut rattacher au thème de la colonialité la conférence que devait donner Fatima Ouassak, intitulée « écologie pirate et quartiers populaires ». Elle est fondatrice du « Front des mères », mais surtout, dans le quartier La Noue entre Montreuil et Bagnolet, elle est à l’origine de Verdragon, une « maison de l’écologie populaire », qui est un lieu-repère sur l’alimentation, l’école, la solidarité, les enfants, dans un quartier populaire. Elle a récemment publié « Pour une écologie pirate ». Ayant dû se décommander, elle a été remplacée par un petit film sur la fête des enfants pirates de Verdragon.

Résister au désastre ? Faire alliance avec le vivant et ses gardiens

Cette table ronde fut le moment le plus étrange de Climax. Elle accueillait des chamanes, Lena Creus (Sami, Suède), Moira Mellon (Mapuche, Argentine), la Cacique Tanone et Ururay (Kariri Xoco, Brésil) ; Franck Desplanques, photographe et journaliste (spécialiste des peuples de Sibérie) ; et… Marie Toussaint, juriste, députée écologiste européenne, initiatrice de « Notre affaire à tous » (Bordeaux).

La table ronde était ainsi présentée :

« La crise écologique contemporaine est une crise de l’économie extractiviste. C’est aussi une crise des diversités du monde vivant autant qu’une crise de nos relations au vivant lui-même.

Ces situations de crise peuvent être appréhendées comme des des opportunités de voir autrement ce qui nous entoure. Des formes de relation au monde qui avaient été passées sous silence ou écrasées resurgissent comme des voies de passage possibles.

Les peuples premiers, gardiens et gardiennes de sites sacrés et des savoirs ancestraux, savent que la terre ne s’est pas tue, les esprits de la terre, les esprits de l’eau, de l’air, du feu sont en colère quand les humains ne respectent pas les lois d’équilibre qui sont à la fois sociales, environnementales, cosmologiques et spirituelles. Des siècles de discriminations, de colonisation et de spoliations ont poussé ces communautés autochtones à travers le monde à s’engager dans une lutte pour faire respecter leurs droits, défendre leurs territoires, leurs cultures, leurs identités.

Du chamanisme, aux rêves et rites totémiques, des luttes pour des droits à la terre aux pratiques visant à devenir territoire autonome pour résister à l’accélération des politiques prédatrices, Ils nous laissent entrevoir une multitude d’initiatives porteuses d’un même engagement : prendre soin de nos existences humaines et non humaines et défendre le vivant en résistant contre la destruction des milieux de vie, rivières, forêts …Des cosmologies qui ne sont pas seulement des visions mais des pratiques pour la résistance et l’action. »

Le droit est-il un chamanisme occidental ? Plus prosaïquement, Marie Toussaint était appelée à intervenir sur le rôle croissant du droit dans la protection de l’environnement, et de la reconnaissance de fleuves ou forêts comme sujets de droit. En Nouvelle Zélande, Equateur, mais aussi en Corse, sans oublier les demandes en cours pour la Loire et la Garonne.

(inter) Darwin en situation précaire

Dans la table ronde « Sous le béton, la terre », Philippe Barre, fondateur de l’écosystème Darwin, a rappelé que la situation du lieu était toujours précaire. Il se situe dans une ZAC pilotée par Bordeaux Métropole Aménagement (BMA). Une occupation précaire avait été accordée par Juppé il y a plusieurs années dans cette ancienne caserne Niel. Depuis, le béton de l’écoquartier n’en finit pas de couler, à gauche, à droite, et en arrière du site. Darwin avait pu acheter une première parcelle (le long du quai), mais cela en était resté là.

Les négociations avec la mairie EELV de Bordeaux ont abouti en décembre 2022, avec la constitution d’une co-société entre la Ville et Darwin pour acquérir la parcelle limitrophe, et la sortir de la ZAC. Le processus est en cours. Par contre, Marignan, qui construit sur la ZAC pour BMA, n’a pas voulu lâcher prise sur la parcelle suivante, où Darwin avait aussi des activités. Elle a acquis (notamment) cette parcelle en septembre 2022, et procéder à la destruction des bâtiements qui s’y trouvaient l’été dernier, malgré une procédure en référé de Darwin.

La réduction de l’espace accordé à Darwin est visible depuis ma première visite en 2019. L’objectif de BMA / Marignan semble être d’étouffer Darwin au milieu d’un écoquartier privé pour en diminuer le pouvoir d’attraction : c’est un des lieux les plus visités de Bordeaux.

Patrick Petitjean 22 septembre 2023