Toro : un artiste qui veut mourir

Le conseil municipal municipal de Vieux Boucau vient de décider d’arrêter les corridas, qui avaient été relancées en 20233 et 2024. Succédant au renoncement d’Eauze (Gers), cette décision a provoqué une certaine fébrilité dans les milieux tauromachiques, craignant une extension des vents contraires. En guise de contre-offensive, la propagande pro-corrida a battu son plein, notamment dans le journal Sud-Ouest ces dernières semaines

Vieux Boucau

La municipalité avait autorisé la pena locale (La Mariposa) à organiser, de manière exceptionnelle, des corridas deux années de suite. Pour 2025, ce sont des raisons éthiques qui l’ont poussée à arrêter la série, le refus de la mise à mort comme spectacle.

« La majorité des élus jugent que cela n’est plus digne d’un spectacle du monde de maintenant. Cette mise à mort n’est pas justifiée par une tradition, puisqu’il y a eu de longues années d’interruption depuis la création des arènes », a expliqué le maire Pierre Froustey à France3Régions

Il a précisé : « Cela ne remet pas en cause les courses landaises ni les spectacles de recorte. Nous souhaitons seulement qu’il n’y ait plus de spectacles avec mise à mort dans les arènes de Vieux-Boucau, comme cela a déjà été le cas durant vingt ans » (Sud Ouest, 3.2.25).

Il insiste sur ce point : « Je suis toujours un fervent défenseur des traditions locales, et notamment landaises. Mais peut-être que la corrida n’est pas forcément une tradition landaise ? ».

Les défenseurs de la corrida sont rendus furieux par la mise à l’écart de la corrida d’avec les traditions taurines landaises. Dans une pétition, les organisations taurines soulignent ainsi le danger de l’argumentaire de Pierre Froustey, opposé aux corridas et novilladas, mais farouche partisan de la course landaise : « Effacer la corrida dans des arènes comme celles de Vieux-Boucau revient à différencier les tauromachies, alors même qu’elles sont intimement liées entre elles et complémentaires ; chacune s’étant implantée grâce à l’autre sur les différents territoires français ».

La Fédération française des courses landaises a pris le même angle d’attaque contre la décision de Vieux-Boucau : la tauromachie est unique. Après avoir tenté une « médiation » pour faire revenir Pierre Froustey sur sa décision, l’UVTF a menacé d’expulser Vieux-Boucau.

A l’inverse, certaines associations favorables à l’abrogation des corridas ont félicité Pierre Froustey… bien que la plupart (mais pas toutes) partagent avec les pro-corridas cette idée qu’on ne peut séparer les corridas des autres formes de tauromachie, course landaise comprise.

Magescq

devant l’église de Magescq, non loin de Vieux Boucau dans les Landes, le 9 mars

Dimanche justement, 3 associations anti-corridas organisaient un rassemblement à Magescq, dans les Landes, contre la reprise de la saison des corridas. Une trentaine de personnes ont participé à ce rassemblement, parmi lesquelles, les avis étaient partagés sur la position de Pierre Froustey. Il y avait là des adhérent.es du CRAC (comité radicalement anti-corrida), de REV (Révolution écologiste pour le vivant), de One Voice et d’EELV. Voir aussi la photo en une de ce billet.

On reste loin des mobilisations d’avant le Covid, malgré un timide frémissement dans l’optique des élections municipales de 2026

Eauze

17/06/17 TYROSSE corrida des fetes de Tyrosse toros de Valdellan Alain Lartigue – Louvier Isabelle ( arènes )

Ce sont des raisons économiques, et non éthiques, qui ont poussé le maire d’Eauze (Gers) à renoncer à l’organisation d’une corrida en 2025. Mais deux chevaliers blancs sont arrivés pour organiser la corrida à sa place.

L’un d’entre eux est la société Tomefra avec son directeur, Alain Lartigue., bien connu sur Bayonne, où il est mandataire des corridas, comme pour plusieur villes landaises. J’aurai l’occasion de reparler de ce personnage.

François Zumbiehl : Vive la mort

Depuis quelque temps, la propagande tauromachique s’étend, et s’appuie sur une page régulière dans l’édition dominicale de Sud Ouest.

Le 8 mars dernier, cette page reproduisait un entretien avec François Zumbiehl en réponse à l’arrêt des corridas à Vieux-Boucau. La page était titrée : « Sans mise à mort, la corrida se réduirait à une exhibition insignifiante ». C’est bien l’esprit de l’entretien, comme le montrent les quelques citations ci-après.

François Zumbiehl est présenté comme anthropologue et écrivain. Il a effectivement soutenu en 2006, à l’Université Bordeaux 2, une thèse en anthropologie culturelle intiulée « Les mots qui torréent : la représentation de la tauromachie dans la parole des professionnels et des aficionados espagnols ». Les membres du jury sont, pour la plupart, taurophiles et âgés. Mais ce sont des scientifiques reconnus avec une fiche wikipedia et des publications (ce n’est pas le cas de François Zumbiehl), en dehors du journaliste Francis Marmande. Le président du Jury, Pierre Bidart, était un anthropologue particulièrement connu.

Dans un précédent entretien avec Sud Ouest (29.8.24), Zumbiehl parlait de son enfance à Anglet et de sa « coup de foudre » lorsque qu’il avait assisté à sa première corrida à Bayonne à l’âge de 11 ans. Depuis, il est aficionado. Dans cet entretien, il partait en guerre contre l’animalisme, cet anti-humanisme, au nom des traditions judéo-chrétiennes et gréco-latines.

Selon son dernier entretien, il vit entre le Pays basque et Madrid, a été conseiller culturel à l’ambassade de France en Espagne et est actuellement membre du Cicult (Conseil international des cultures taurines).

François Zumbiehl est un anthropolgue au service des corridas. Et cela ne peut qu’accentuer l’abîme de son discours, hymne à la mort et au sang, glorification de l’estocade finale, présentée comme le choix de sa mort par le toro, de préférence à une mise à mort dans les coulisses.

Extraits de l’entretien avec Sud Ouest

La tauromachie s’enracine dans le mythe millénaire de Thésée et du Minotaure, rien que ça.

Sans mise à mort, la corrida se réduirait alors à une exhibition insignifiante, où il ne resterait plus qu’à apprécier l’habileté, l’élégance et les qualités physiques du torero. Cela deviendrait un pur simulacre (…) On éliminerait toute la dimension symbolique liée au rituel de la tauromachie, fixé dans sa version moderne vers la fin du XVIIIe siècle, qui rétablit le lien avec le mythe millénaire du combat de Thésée et du Minotaure, pour réaffirmer la victoire, certes temporaire, de l’esprit et du courage sur la nature indomptable et sur la mort.

La magie de l’estocade

C’est pour cela que le taureau doit mourir dans l’arène, que nous-mêmes, qui nous trouvons sur les gradins, nous devons nous confronter à cette mort qui annonce et représente la nôtre, et que le matador doit risquer sa vie, sans métaphore, dans cette phase suprême qui est « le moment de la vérité ».

La mort du taureau doit être digne jusqu’à la fin. Mais celle-ci est essentielle encore une fois. Elle répond surtout à une exigence éthique : elle est le moment où le risque assumé par l’homme est à son plus haut degré. (…) (un ancien torero) : «  L’estocade est la dernière retouche d’une œuvre d’art qui vient d’être achevée. C’est une fusion où l’un engage sa vie au prix de la vie de l’autre, un agrégat d’émotions qui se conjuguent, durant une seconde, dans l’espace ».

Et comme final de l’entretien, le toro qui demande lui-même l’estocade pour faire de sa vie une œuvre d’art. Zumbiehl ne nous épargne rien.

Zumbiehl cite le maestro Andrés Vazquez : « Je me suis trouvé là, quand on a tué un taureau brave dans un abattoir. Il mugissait, comme s’il voulait dire : ‘‘Non ! Je veux mourir dans une arène ; je ne veux pas mourir ici, dans cet endroit qui pue le sang !’’ C’était un animal humilié, maltraité, qui pensait qu’il n’était pas né pour ça. Il était né pour la lutte, et pour faire de sa vie une œuvre d’art. »

C’est aussi avec un argument semblable que les maires justifient les dérogations au code des marchés publics en raison d’une « prestation artistique unique ». Voir un billet précédent sur ce sujet : https://lepimentbayonnais.fr/2024/08/17/a-bayonne-on-a-lhumour-tauromachique-sanglant/

Patrick Petitjean, 11 mars 2025

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