Bayonne Citadelle : La mort d’une cité populaire

Le Conseil municipal du 23 janvier a validé – sans aucun débat – la 18e modification du PLU de Bayonne. Le conseil communautaire a fait de même le 15 février. La M18 est consacrée pour l’essentiel au projet d’une démolition – reconstruction – extension d’une des plus anciennes cités populaires (inaugurée en 1960) de la ville. La substitution d’une cité populaire par un quartier tourné vers les classes moyennes nécessitait mieux que cette validation à la sauvette, sans débat public préalable.

L’opération se fait sous l’égide de HSA, bailleur social de la CAPB. La cité comportait 241 logements, tous locatifs, une douzaine de barres en R+4, 17 entrées au total, dont un serpentin avec les entrées 9 à 16.

Le serpentin : conservé en 2019 mais démoli quand même en 2023

Le projet Citadelle présenté en 2019

Des premières informations sur cette opération immobilière sont publiées fin 2019 dans la presse. La restructuration de la cité aurait été lancée dès 2015. Sur les 241 appartements locatifs existants, 153 devraient être reconstruits, et 88 rénovés (le serpentin).

Fresque au début du serpentin

Elle devait être financée (de l’ordre de 30% à 40%.) dans le cadre du contrat de ville par l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), qui pilote usuellement ce genre d’opération : démolition, reconstruction, rénovation, chaque volet étant dans des proportions diverses. Avec deux caractéristiques : la restitution sur place des logements locatifs démolis, et des constructions supplémentaires pour une plus grande « mixité sociale ».

Le projet 2019 répondait globalement à ces critères, puisque le même nombre de logements locatifs était maintenu, et que s’y ajoutaient 79 autres en accession sociale. Le regroupement des écoles maternelle et élémentaire en un seul bloc scolaire libérait de la place pour les nouveaux logements.

Cependant, un critère de l’ANRU était absent : la consultation des habitants sur l’opportunité de la démolition, y compris par un vote. Dans de nombreuses villes, les démolitions ont été contestées.

De même, l’ampleur de ce projet, et sa place dans la politique du logement, auraient mérité un débat au conseil municipal. Il n’a pas eu lieu.

La présence d’amiante et de plomb était avancée pour justifier les démolitions, le fait aussi que les appartements n’étaient plus aux normes : mais alors pourquoi seulement les 2/3 des bâtiments démolis et non la totalité ?

premières démolitions

Les premières démolitions ont lieu dès 2023, pour 5 barres. HSA organise depuis des « cafés rencontre» sur l’évolution du chantier et pour présenter l’opération aux locataires, notamment ceux devant être relogés (89) dans l’immédiat. Cette première phase de relogement débute en 2021, avec un suivi social des locataires.

(inter) En 2023, le projet change de nature

Cette fois-ci on démolit tout, et on double le nombre de logements. Enfin, non : il n’y a plus de « démolitions », mais des « déconstructions », communication oblige. On est écolo, on recycle.

La cité populaire, c’est fini. Place à un quartier qui fait entrer la citadelle dans « une nouvelle ère» (Lausséni Sangaré, directeur général de HSA dans Sud Ouest du 16.1.24). Ce nouveau « projet hors norme » a-t-il fait l’objet d’une présentation publique par la ville et d’un débat au conseil municipal ? Toujours pas.

Le financement ANRU a disparu : l’opération ne rentre plus dans ce cadre. Il n’y a plus de rénovation.

C’est à travers une page de publicité de HSA dans le journal Sud-Ouest le 7.12.23 que la nouvelle dimension de cette opération est annoncée : le nombre de logements monte à « environ » 500, dont des logements seniors  et étudiants. Avec 2/3 de logements sociaux (accession sociale comprise). Si HSA affirme qu’à peu près 300 logements seront rendus en locatif, rien n’est dit sur la répartition entre locatifs familiaux et locatifs spécifiques (étudiant et seniors).

L’entretien de Lausséni Sangaré dans Sud Ouest met en avant la nécessité de repenser globalement le quartier et affirme emphatiquement tout le bien qu’il faut en attendre en ce qui concerne la qualité de vie. Le regroupement des écoles est confirmé. La densification aussi, avec des immeubles en R+5.

La cité, avant démolition

L’article oppose l’état présent, catastrophique, du quartier et l’avenir radieux dessiné par le projet.

Qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage

Les justifications pour la démolition n’ont pas varié au long des évolutions du projet : amiante, plomb, manque de confort, absence d’ascenseur.

Comme le dit Lausséni Sangaré dans Sud Ouest du 16.1.24 : « Les 241 logements que compte « La Citadelle » ne répondent plus aux attentes d’accessibilité et de confort de vie dans notre parc de logements ». Il pointe le manque d’isolation phonique des appartements, un agencement « à l’ancienne » avec des couloirs desservant des pièces de petite taille, ainsi qu’un autre défaut majeur : l’accessibilité aux étages. « Il était impossible d’apporter une réponse à tout cela dans le cadre d’une réhabilitation classique ».

De plus, des fragilités structurelles auraient été descellées sur les bâtiments, particulièrement dégradés, en butte à des risques d’infiltrations.

A priori, comment ne pas être convaincu. Mais…

Pendant longtemps il a été question de ne pas démolir le serpentin. Quelle différence avec les autres bâtiments ?

Comment expliquer le cas de la cité du Polo-Beyris va être rénovée par HSA dans deux ou trois ans. Cette cité, inaugurée deux ans après la Citadelle, comporte aussi 241 logements, en R+4, sans ascenseur. 2 ans d’écart seulement entre les deux cités, cela laisse supposer les mêmes matériaux (avec plomb, amiante) et des conforts voisins.

Une expertise a certainement été conduite pour faire ce diagnostic : la Citadelle est impossible rénover. Elle n’a pas été rendue publique, et ne figure pas au dossier d’enquête.

L’avenir radieux de la Citadelle

Le projet est qualifié d’ambitieux et de vertueux pour l’environnement et les habitants. Au fil du dossier de l’enquête publique et de la communication d’HSA, on relève :

= densification de façon mesurée et qualitative,

= nouveau front urbain au niveau du carrefour entre l’avenue Grenet et de la rue Maubec, accroche architecturale et paysagère,

= diversité des publics par la mixité sociale (60% de logements sociaux minimum),

= qualité de vie dans les logements (bioclimatiques),

= préservation des arbres sains, replantations,

= libres circulations piétonnes dans les parcs autour des bâtiments

= percées visuelles entre les constructions,

= mise en valeur des lisières boisées de grande qualité,

= services et commerces de proximité,

= espaces publics apaisés et végétalisés.

On peut cependant remarquer aussi que le « vert » viendra principalement des espaces boisés de la citadelle militaire voisine… qui vont eux-mêmes subir un déboisement conséquent.

Décembre 2024, des chiffres enfin précis lors d’une réunion publique

Lors de l’enquête publique, en octobre 2024, j’avais demandé qu’une réunion publique soit organisée par la CAPB (en responsabilité du projet) pour une présentation à tous les habitants, au-delà des locataires de HSA. S’étant tourné vers HSA, le commissaire enquêteur en reçut un document ancien, supposé avoir été distribué aux locataires en 2022 : avec donc un projet qui avait été depuis complètement chamboulé. Bonjour le respect d’une enquête publique…

La tenue d’une réunion publique au cours de l’enquête fut donc refusée, au motif que HSA avait déjà fait toutes les communications nécessaires, notamment avec déjà 4 cafés « rencontre » entre septembre 2023 et septembre 2024.

Refusée, elle fut néanmoins organisée le 4 décembre 2024, après la fin de l’enquête, dans une salle de la MVC Saint-Etienne. L’annonce de cette réunion fit l’objet d’une publicité dans Sud Ouest et sur le site de la CAPB, une différence d’avec les annonces précédentes limitées aux locataires. Elle est présentée comme le 5e café rencontre. Etchegaray et Hirigoyen (président de HSA) y participent. La première partie est une présentation globale du projet, et une deuxième consacrée aux relogements.

De nouveaux chiffres, plus précis sont avancés pour la programmation : 81 PLAI (locatifs très sociaux), 107 PLUS (locatifs standards), 23 PLS familiaux (locatifs de qualité supérieure), soit un total de 211 logements locatifs sociaux ; 110 PLS étudiants ; 70 BRS (accession sociale) ; 184 en accession libre. Soit un total de 575 logements, dont 68% de sociaux, toutes catégories confondues. Pour les familles, entre l’ancienne et la nouvelle cité, on passe de 241 à 211 logements.

Les premières reconstructions auront lieu entre 2025 et 2028, mais le permis de construire n’a pas encore été déposé.

Le bilan social des premiers relogements a été présenté : peu d’anciens locataires reviendront. Il est reconnu que le niveau de loyer des futurs logements va fortement augmenter, leur interdisant d’y accéder. Un certain nombre a du émigrer vers le sud des Landes. Le meilleur accompagnement social ne peut effacer le traumatisme d’un déménagement forcé, pafois après des dizaines d’années dans un logement. Ces démolitions provoquent des ruptures de lien social.

Enquête publique et politique de peuplement

Certaines enquêtes publiques permettent de discuter du contenu d’un projet. Ce fut le cas de l’ouverture à l’urbanisation du Sequé 4, avec un avis négatif pour l’ouverture à l’urbanisation, injustement justifiée. Avis négatif sur lequel Etchegaray est passé outre.

Dans le cas de l’enquête publique en cause pour la Citadelle (la modification 18 du PLU), c’était d’emblée plus administratif : corriger le règlement du PLU (les hauteurs et les orientations d’aménagement notamment) sans nouvelle urbanisation. L’enquête publique ne portait donc pas sur un projet urbain, le remplacement d’une cité populaire par un ensemble immobilier majoritairement pour classes moyennes et supérieures. Le sujet « politique » aurait pu quand même être mis en débat lors de l’enquête. Mais le choix a été fait de se limiter à l’administratif.

Difficile alors d’être surpris de l’indifférence du public lors de l’enquête, ni de celle des conseillers municipaux ou communautaires lors du passsage en séance.

Derrière la communication officielle, la nouvelle Citadelle est une banale opération immobilière « à la Etchegaray » : un ensemble de logements où la prétendue mixité sociale est à sens unique, au profit des classes moyennes et supérieures. Où les services et commerces, l’existence d’une centralité, tout ce qui crée du lien social, est marginalisé, en dehors (pas toujours hélas) des écoles.

Cette banalisation se fait dans le cadre de la dite « charte de mixité sociale », un deal (engagement moral sans valeur juridique) conclu il y a deux ans entre Etchegaray et les promoteurs. Contre un accès facilité à du foncier public, les,promoteurs peuvent développer l’accès libre à la propriété sur (environ) 40% des logements, sous réserve qu’une petite partie soit « abordable » et de l’engagement des acheteurs d’en faire leur logement principal pendant 10 ans.

Le maire met en avant que la cohérence d’un tel ensemble immobilier vient du fait que le bailleur social, ici HSA, en est l’aménageur, et peut donc dicter ses conditions aux promoteurs. C’est aussi une source d’opacité : la vente des droits fonciers d’un bailleur vers un promoteur ne passe pas devant le conseil municipal, et n’est pas soumis aux mêmes règles que la cession du foncier de la ville vers un bailleur.

Cette photo (googlemap) date sans doute de plus de 10 ans. Les immeubles spéculatifs n’ont pas encore remplacés les maisons de la rue Maubec

Le fait de se tourner vers les classes moyennes et supérieures est une constante de la politique municipale depuis plusieurs années. C’est une politique de peuplement déjà à l’oeuvre dans le haut de la rue Maubec, à côté de la Citadelle, où sévissent Bouygues, Nexity, Fichet et Cogedim notamment. Comme pour la nouvelle Citadelle, un alibi écologique est avancé : ce sont des opérations le long d’une ligne structurante de transports, le T2. Dans ces opérations, le logement social n’existe pas. Le prix des terrains, donc des logements, est fortement en hausse, grâce au T2. La spéculation immobilière bat son plein. Alors, le logement social…

Pour la nouvelle Citadelle, les logements sociaux locatifs familiaux ont été en grande partie sauvegardés, mais la densification se fait au bénéfice exclusif de l’accession à la propriété. On reste dans une logique spéculative, même pour financer une reconstruction publique. Et on fait disparaître une cité populaire.

Entre la Citadelle et la rue Maubes Bouygues a remplacé 4 maisons. Immeuble achevé.
A l’angle Maubec / Grenet, ce chalet sera démoli pour la nouvelle Citadelle

Patrick Petitjean, 28 février 2025

2 commentaires sur “Bayonne Citadelle : La mort d’une cité populaire

Laisser un commentaire