Bayonne : Pour un moratoire sur la ZFE

Une consultation a eu lieu en novembre sur le projet de créer une Zone à Faibles Emissions (mobilités) sur l’agglo de Bayonne. La très grande majorité des contributions est hostile. Les propriétaires des véhicules anciens seront les plus touchés par ces restrictions de circulation. Les effets bénéfiques pour la santé semblent faibles au regard du caractère « punitif » envers les milieux populaires. L’entrée en vigueur est annoncée pour avril 2025, après une finalisation du projet lors d’un conseil communautaire en début d’année. Un moratoire serait bienvenu pour une ZFE plus juste.

Les Zones à Faibles Emissions

Des vignettes pour tous

Le principe d’une ZFE est, comme son nom l’indique, un périmètre où les véhicules les plus polluants ne sont pas autorisés à circuler. Elles sont obligatoires. Elles sont mises en place à l’échelle européenne. Il y en a déjà une douzaine en France. Au Pays basque, des ZFE se mettent en place à Bayonne, Irun, Donostia et Bilbao. Les pollutions concernées sont le dioxyde d’azote (NOx), les particules fines de catégorie PM10 (diamètre de 10µm) et PM2,5. L’émission de CO2 et de gaz à effet de serre n’est que très marginalement concernée.

En fonction de son ancienneté et de son carburant, chaque véhicule se voit attribuer une vignette « Crit’Air », avec un numéro classé de 0 à 5, du moins au plus polluant. Certains véhicules anciens ne sont pas classés. Cette vignette est obligatoire pour tous les véhicules circulant dans une ZFE.

L’objectif est de diminuer la pollution atmosphérique dont une grande partie provient du trafic routier, une contribution estimée à 61% au Pays basque pour le NOx. Les effets de cette pollution sont connus, avec plus de 40 000 décès prématurés par an en France.

L’Organisation Mondiale de la Santé définit des niveaux maximums de pollution, supposés être compatible avec la santé, bien que la pollution ne soit jamais sans effet. Il est prévu que l’OMS diminue ces seuils en 2030. Les organismes sanitaires européens (et français) s’adaptent et s’adapteront aux préconisations de l’OMS. Ces seuils sont peu dépassés dans l’agglo bayonnaise, mais le seront davantage en 2030, si la baisse de la pollution n’est pas avrée, bien que la pollution soit déjà tendanciellement en baisse : désindustrialisation, et amélioration de la qualité des automobiles.

Il ne reste aujourd’hui en France que 2 agglos (Paris et Lyon) avec des dépassements réguliers des seuils réglementaires. Il y en avait 15 en 2016 et 5 en 2020. Pour ces agglos, les ZFE sont dites « effectives » et plus contraignantes. Les restrictions vont jusqu’aux Crit’Air 3. Les autres ZFE sont dites « de vigilance ». Le calendrier de mise en place a été assoupli, mais reste officiellement fixé au 1er janvier 2025.

Dans l’agglo bayonnaise, les véhicules qui ne pourraient pas circuler dans la ZFE seraient les véhicules sans vignette Crit’Air ou avec un vignette Crit’Air 5. L’idée d’y ajouter les Crit’Air 4, un temps envisagée, n’a pas été retenue. Il n’y a pas obligation d’aller au-delà.

La ZFE de l’agglo bayonnaise

Le dossier général, et les modalités bayonnaises, se trouvent ici : https://www.communaute-paysbasque.fr/transports/la-zone-a-faibles-emissions-mobilite-zfe-m-pays-basque

Le périmètre retenu par la CAPB concerne les communes du littoral, d’Hendaye à Tarnos, incluant Bayonne et Boucau, à l’Est de la A63. Les autoroutes ne sont pas concernées, et les restrictions ne s’appliqueront pas aux accès vers les parkings relais.

Ce périmètre a été défini en tenant compte de plusieurs critères : « obligations réglementaires liées à la loi Climat et Résilience ; données socio-économiques du territoire ; localisation des personnes exposées au-dessus des seuils de protection de la santé ; cohérence de politique de santé sur l’ensemble du littoral ; enjeux de lisibilité et de compréhension pour les usagers ; nécessité de maintenir des axes hors de la ZFE-m pour le transit et l’accès à certains parcs relais ». Au final, la ZFE s’étend sur 125 km².

Les véhicules qui ne pourraient pas circuler dans la ZFE sont notamment :

  • les voitures et camionnettes essence immatriculées avant le 1er janvier 1997 ;
  • les voitures et camionnettes diesel immatriculées avant le 1er janvier 2001 ;
  • les deux roues motorisés immatriculés avant le 1er juin 2000.
  • les véhicules dont le certificat d’immatriculation porte la mention « collection »

Au total, cela représenterait 5% des véhicules immatriculés au Pays Basque selon le dossier de la CAPB, mais seulement 3% des voitures particulières des communes ZFE, soit exactement 3 956 voitures.

Le tableau ci-dessous, extrait du dossier, donne la composition du parc véhicule de l’agglo bayonnaise en 2022 en fonction de leur classement Crit’Air.

Entre 2011 et 2022, le nombre de véhicules classés Crit’Air 5 a diminué de 68%, et celui des « non classés » de 88%. Ces chiffres servent à la CAPB pour laisser entendre qu’il ne s’agit aujourd’hui que d’un nombre résiduel de véhicules concernés, qu’il va continuer à diminuer, et que de moins en moins de monde sera touché. Au point qu’on peut se poser la question : tout ça pour ça ?

Les modalités dans le projet d’arrêté

Il y aura des dérogations et des exemptions, concernant les véhicules d’« intérêt général » et d’autres pour des raisons économiques ou sociales. Certaines sont des obligations nationales. Mais plusieurs autres sont des « cadeaux » de la CAPB, détaillés à l’article 6 du projet de décret. Elles concernent principalement les professionnels.

Une question a été posée dans les contributions sur un point sensible : si les véhicules professionnels utilisés par les services d’aide et accompagnement à domicile sont clairement exemptés, ainsi que les véhicules affectés aux structures d’insertion par l’activité économique, qu’en est-il des véhicules personnels, souvent utilisés pour ces mêmes objectifs ? C’est le cas en particulier des infirmières et médecins.

Une autre dérogation locale (mais pas spécifique au Pays basque) est l’existence d’un « Pass24 », c’est à dire de la possibilité de circuler pendant 24h dans la ZFE. Leur nombre est limité à 24 par an.

Cett dérogation, comme toutes les autres doivent fait l’objet d’une demande motivée avec justificatifs. Il est annoncé que la liste et les modalités de ces dérogations sont susceptibles d’évoluer après la consultation, dans l’arrêté final.

Enfin, il y a les aides pour l’achat d’un véhicule électrique : bonus écologique, prime à la conversion, prime au retrofit. Les aides nationales sont en baisse.

La CAPB explique que les aides nationales et locales sont cumulables, et que cela peut dépasser 10 000 euros, un coût final qui reste quand même difficilement atteignable pour les personnes à faibles revenus.

Quant aux aides locales, le dossier précise « En complément des mesures financières nationales existantes et dans sa volonté de garantir le droit à la mobilité pour tous, des mesures d’accompagnement de la CAPB sont en cours de conception ». De quoi rassurer ?

La consultation sur le projet d’arrêté

Le dossier complet, notamment l’étude de pollution atmosphérique par l’Atmo, est accessible sur le site de la CAPB. On pouvait aussi mettre des contributions sur un registre dématérialisé pendant un mois. Les contributions étaient librement consultables. Il est aujourd’hui fermé, donc inaccessible, jusqu’au bilan officiel. Il y a eu 165 contributions sur ce registre.

Il y a eu deux réunions publiques, avec, à chaque fois, plusieurs dizaines de personnes, à Bayonne et Ustaritz. Les participants étaient en grande majorité opposés à la création de la ZFE.

Les 165 contributions montrent en général beaucoup d’inquiétudes. Au diapason de la question que chacun et chacune se pose, quand on a une voiture d’une certaine ancienneté : Vais-je pouvoir circuler encore ? Toutes les raisons sont bonnes pour demander davantage d’exemptions, et, même, refuser la ZFE.

C’est cette inquiétude qu’il faut voir dans des contributions parfois un brin complotiste (le Forum de Davos avec son agenda 2030 supposé vouloir tuer le petit commerce et exclure les pauvres), ou hors sujet (l’emprunte carbone). Mais aussi, il y a souvent des propositions pour amender les dérogations.

Les noirs desseins de la CAPB

La CAPB serait moins motivée par la santé des habitants que par le déficit du Trambus à combler : « Le tram-bus coutant plus cher qu’il ne rapporte, il faut donc inciter les citoyens, généralement ceux dont les moyens ne permettent pas d’acheter un véhicule électrique, d’abandonner leurs « vieux » matériels pour emprunter les transport publics. Assez pervers, non ? Et pendant ce temps, des véhicules SUV électriques de plus en plus massifs auront toute latitude pour occuper les espaces libérés par nos vieux carrosses puants… Soupçonnons donc un étrange et sinistre projet politique. D’autant que d’autres urgences se font jour. la dégradation de la côte basque et l’effondrement des falaises, la disparition des services publics à laquelle se substituent des services informatiques dématérialisés et dépersonnalisés, les problèmes cruciaux de santé publique, etc, etc. »

Véhicules de collection et modèle palois

Les propriétaires de tels véhicules, très présents lors des réunions, sont aussi très nombreux parmi les contributaires, avec souvent des arguments stéréotypés, visiblement repris d’un modèle fourni par l’association « Soupapes et Pistons ». Il s’agit d’élargir la dérogation à tous les véhicules d’un certain âge, qu’ils aient ou nom la vignette « collection », au nom de la défense du patrimoine.

Mais pas seulement, ce sont des contributions positives, qui proposent de prendre le modèle de la ZFE (en cours de finalisation) de Pau pour élargir l’ensemble des dérogations :

«  Egalité des citoyens par rapport au projet de ZFE de Pau ; Dérogation aux citoyens ayant un quotient familial inférieur à 750 € ; A tous véhicules VL Crit’Air 5 et non classés après le 31/12/1996 ; Pendant la période de 18h à 9h en semaine ; Les samedis, dimanches et jours fériés ; Aux petits rouleurs parcourant moins de 8 000 kms/an ; Par an, 52 « pass » journaliers permettant l’accès aux commerces, loisirs, vie sociale et sanitaire ; A tout véhicule de plus de 30 ans puisque faisant partie du patrimoine automobile ».

D’autres contributions reprennent certaines de ces demandes, notamment l’exemption des petits rouleurs. Et aussi, une exemption des deux-roues, qui seraient un mode écologique de déplacement, puisque limitant les embouteillages. Et encore, l’exemption des voitures en co-voiturage.

Ségrégation par l’argent

Au-delà d’argumentaires détaillés, cela relève d’une perception générale des ZFE, répandue partout, à partir du constat (largement factuel) que ce sont les personnes les plus modestes qui gardent leurs véhicules le plus longtemps, et qui sont donc les plus touchées par les ZFE. Tous les registres de l’indignation sont donc mobilisés pour dénoncer l’injustice perçue : « Sanction contre ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts ; mesure discriminatoire envers les moins fortunés ; mettre à pied des population en grande difficulté ; injustices ; approche qui génère des inégalités ; stigmatise une partie de la population ; privilèges des habitants du centre de la CAPB qui ont davantage de transport ; ségrégation par l’argent… ». Et plusieurs fois « liberticide ».

En arrière-fond, cependant, on devine le non-dit du « touche pas à ma voiture » : pas besoin de mobiliser ouvertement cet argumentaire

Mise en doute de la pertinence d’une ZFE

De nombreuses contributions se scandalisent de la mise hors ZFE des autoroutes. Lors des réunions publiques, la CAPB s’est réfugié derrière l’obligation nationale de fournir un itinéraire de substitution, et donc inopérant contre la pollution.

Plus généralement, c’est la non-prise en compte des autres sources de pollution atmosphérique qui provoque l’incompréhension de contributeurs quant à la pertinence de la ZFE. Même si le dossier de l’Atmo argumente sur ce point.

Autre argument, l’idée que « ce territoire, de Tarnos à Hendaye, n’est pas une zone urbaine mais une zone rurale avec des communes, qui plus est en bande côtière et ouverte aux quatre vents ».

L’Atmo

Cet organisme, est chargé de surveiller et mesurer à l’échelle de la Nouvelle Aquitaine la pollution atmosphérique. Au sein de chaque station, l’ensemble des mesures est ensuite classé selon l’influence prédominante

concernant le polluant : influence industrielle (I) ; influence du trafic (T) ; ou influence de fond (F).

Trois d’entre elles se situent dans le périmètre d’étude et sont ainsi spécialisées :

▬ la station périurbaine de Biarritz – Hippodrome, qui mesure le NOx, les PM10, les PM2,5 et l’O3. Influence de fond (F) ;

▬ la station urbaine de Bayonne – Saint-Crouts, qui mesure le NOx les PM10 et l’O3. Influence de fond (F) ;

▬ la station urbaine d’Anglet – BAB, qui mesure le NOx et les PM10. Influence du trafic (T).

Le dossier présente un diagramme qui répartit ces différentes pollutions en fonction des sources émettrices. Le NOx vient principalement des transports. Les PM10 et PM2,5 davantage de l’agriculture, de sources naturelles, du parc résidentiel et tertiaire, et un peu des transports routiers.

La méthodologie de l’Atmo est fortement contestée dans plusieurs contributions : le faible nombre de stations de mesures et leur implantation, qui servent de base à des modélisations. Tout cela suscite du scepticisme. Il y a demande d’une plus grande transparence sur les mesures de pollution, de mesures plus fines, plus discriminantes. Quel crédit accorder par exemple à la carte des émissions simulées ci-après ?

Une contribution insiste particulièrement sur ces points. Elle émane d’un habitant de Bidart, Manuel Cervera-Mazal, qui doute que l’on puisse dresser une cartographie exhaustive de la pollution de l’air avec ces seules 3 stations, dont aucune près de l’autoroute. Il souligne que Météo-France dispose de davantage de stations, et d’une puissance de calcul importante pour des modélisations. Il en profite pour revenir sur la pollution industrielle, notamment au port de Bayonne, où il n’y a pas de station de mesure. Et de souligner le trafic routier des camions vers le port, les diesels des chemins de fers, le trafic maritime… Sans parler, mais c’est un autre problème des odeurs sulfurées dans la zone du Lazaret à Anglet.

Manuel Cervera-Mazal est par ailleurs sociologue, professeur de sociologie à l’université de Liège, spécialiste de la France insoumise et des nouveaux mouvements de contestation. Voir: https://www.youtube.com/watch?v=yy3fEwcTCMI

Txik Txak

La principale compensation avancée par la CAPB, dans le dossier comme dans les réunions publiques, est le développement de l’offre de transports publics, à travers les nouveaux itinéraires et horaires à compter de janvier prochain : une augmentation chiffrée à 30%. Avec une tarification unique sur l’ensemble du réseau, dont une solidaire selon le quotient familial.

Le dossier insiste sur la complémentarité avec le futur RER basco-landais, avec les différents services offerts par l’application TixkTxak (calculateur d’itinéraire notamment). Et surtout, avec le développement des parkings relais.

En bref, c’est tout un dispositif de réduction de la circulation automobile, donc de la pollution, dans lequel la ZFE prend place.

Les contributeurs qui en parlent semblent apprécier cette perspective, mais certains semblent pas convaincus par cette alternative à leur voiture. D’autant plus que le RER basco-landais n’est pas pour demain, que les principaux parkings relais ne sont pas pour tout de suite, et qu’ils attendent de voir l’amélioration des transports collectifs

Tout ça pour ça

Si l’on en croit la conclusion de l’enquête Atmo : « l’agglo de Bayonne ne présente pas d’enjeux majeurs pour la qualité de l’air ». La ZFE n’est-elle qu’une mesure préventive pour les futures réglementations de 2030. Quelle urgence ?

Les effets sur la pollution sont limités. Quasiment inexistants pour les PM10 et PM2,5, la réduction pour le Nox est évaluée à -14%, mais seulement à -5,6% si l’on admet une diminution au fil de l’eau (sans ZFE) de la pollution selon la dynamique actuelle. Il y a, en outre, très peu d’habitants dans les zones sensibles, susceptibles de subir des dépassements des seuils. Tout ça pour ça ?

Même si au final, la CAPB assure qu’un nombre limité de véhicules sera concerné, et que Martine Bisauta,vice-présidente de la CAPB en charge de la ZFE a promis un accompagnement personnalisé pour toutes les personnes concernées, lors de la séance du conseil de la CAPB de septembre dernier.

Il est vrai qu’un tel accompagnement est indispensable, au vu de la complexité des procédures pour accéder au « pass 24h » (24 fois par an), de l’obligation (pour l’instant, semble-t-il) de recourir à une plate-forme informatique (ce qui n’est pas toujours compatible avec les pratiques informatiques des propriétaires de vieux véhicules).

Il n’y a pas urgence. Plutôt que « contraindre, interdire, réprimer », mieux vaut un moratoire pour une ZFE plus juste, pour en améliorer les conditions. Sinon, la CAPB resterait dans l’écologie punitive.

Patrick Petitjean, le 1er décembre 2024

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