
A la parole des habitants qui se libère, la municipalité répond par son « bilan partagé »des Fêtes : tout s’est bien passé, mieux qu’en 2022. Un bilan « technique », sans questionnement sur le modèle. Et pire, sans même un mot sur la mort de Patrice Lanies. Une attitude qui n’est pas passée auprès de son frère Pascal, interrogé par Sud Ouest ce 30 novembre. Deuxième volet sur les fêtes de Bayonne.
La nécessité d’une refondation des Fêtes
Un débat qui devient public en septembre
Le débat sur les Fêtes émerge des réseaux sociaux en septembre quand Sud-Ouest (édition Pays basque), consacre une double page le 9 septembre à des réactions de différentes personnalités : le président de la pena Haiz Egoa, le porte-parole de l’assemblée des jeunes de Bayonne (et promoteur des Fêtes alternatives), des élu.e.s de l’opposition. Réactions auxquelles le maire et ses adjoints ont pu répondre dans une autre double page le lendemain : voir le premier volet de cette série sur les Fêtes.

Sur-fréquentation dangereuse, comportements irrespectueux devenus omniprésents, tabassage à mort de Patrice Lanies, glissement mercantile, sont les principales critiques faites, conduisant certains à réclamer un « tournant radical ». Le journaliste parle même d’« exaspération viscérale ».
L’empilement d’activités, animations et spectacles, sans logique ni sens, à seul fin de « faire du chiffre » de fréquentation, fait disparaître la magie potentielle de la fête. Pour la retrouver, il faut se réfugier dans les endroits « safe », notamment les penas.
La sur-fréquentation est mise en cause, tant en matière de sécurité (la congestion des lieux) que de développement d’une alcoolisation massive, elle-même source de dérives violentes (agressions, viols, meurtre de Patrice Lanies, autres décès liés aux Fêtes,…). La dérive mercantile est particulièrement soulignée par les élu.e.s, avec la flambée de certains prix : « les Fêtes sont devenues une machine à cash ».
Pour diminuer la densité humaine, ce sont principalement des solutions techniques qui sont mises en avant : changement des dates, élargissement du périmètre, en phase avec la municipalité. Le président de la pena y ajoute la suppression des comptoirs extérieurs : les cafetiers font 40 % de leurs recettes annuelles au moment des Fêtes. Une solution technique qui met cependant en cause la dérive commerciale.
Au-delà, faut-il remettre en cause le contenu, voir globalement le modèle des Fêtes ? L’assemblée des jeunes est celle qui va le plus loin, en dénonçant les choix politiques et la « folie des grandeurs » de la ville, avec les campagnes de pubs dans le métro parisien. Elle revendique des Fêtes organisées par les citoyen.ne.s de Bayonne à travers le secteur associatif. Mais il y a consensus pour proposer des Fêtes structurées autour de la culture, notamment de la musique vivante, basque et gasconne.

Depuis cet article en septembre, la pression monte sur la municipalité pour un vrai débat sur le bilan et l’avenir des Fêtes. Les critiques se sont amplifiées, avec la création d’un collectif, une pétition, des tribunes politiques.
Collectif 2032
Le« collectif 2032 » (en 2032, on fêtera le centenaire des Fêtes) s’est constitué fin septembre. Il regroupe des acteurs des Fêtes : commerçants et restaurateurs du Petit Bayonne, syndicat patronal UMIH, Gaztetxea, Kasu, Baiona Banda, associations de riverains, Aski, le Groupment des Associations Bayonnaises (GAB, penas), etc. Il y a surtout des acteurs économiques, mais très divers, avec en plus Gaztetxea (l’assemblée de jeunes), et les proches de Patrice Lanies (Aski : ça suffit). Le collectif veut transmettre en 2032 aux nouvelles générations des Fêtes pleinement améliorées. « Nous voulons contribuer à apaiser la rue, à mettre les habitants et la culture locale au coeur des festivités, à responsabiliser les festayres et réduire l’impact écologique des Fêtes ». Le collectif promet des propositions concrètes début décembre, remises au maire, à mettre en place dès 2024 et demande à la ville de Bayonne d’organiser une consultation des habitants dès que possible.
La grande diversité du collectif (12 entités) interroge sur sa capacité à faire émerger un réel changement. A suivre quand ses propositions seront formulées.
Pétition
Plus offensive est une pétition de « citoyens bayonnais », lancée le 25 septembre. Elle compte 1673 signataires au 27 novembre, et on peut toujours la signer : https://www.change.org/p/f%C3%AAtes-de-bayonne-nous-souhaitons-une-consultation-des-habitant-e-s-mettons-les-habitants-au-c%C5%93ur-des-festivit%C3%A9s-signez-la-p%C3%A9tition-et-partagez-svp
Elle estime que le bilan des Fêtes est « trop lourd » et n’est « pas acceptable plus longtemps ». Il n’est plus suffisant d’ajuster quelques détails et de prendre des mesures techniques. L’heure n’est à repenser les Fêtes en profondeur. Consulter la commission extra-municipale des Fêtes et les acteurs habituels ne suffit pas (ce qui est le périmètre restreint retenu par le maire).
Le collectif demande au maire d’organiser une consultation des habitants dans les plus brefs délais, qui devrait traiter de tous les aspects, « dont la sécurité, l’hygiène, l’affluence, les dates, les horaires, les prix, la programmation, la prévention, la place de la langue basque, la participation des habitants et des structures privés, la communication, le transport, le stationnement ou encore la sonorisation ».

Tribunes
Colette Capdevielle (élue socialiste) soulignait en août un nouveau profil (?) de festayres qui ont pour seul objectif de s’enivrer, profitant de ce que les Fêtes soient devenues « une formidable machine à cash ». Elle parlait des « barbares » qui violent et réclamait un bilan « courageux » discuté démocratiquement en dehors des cercles habituels (NDR : On n’en a pas pris le chemin). Elle sacrifiait aussi aux éléments de langage sur les Bayonnais qui ont « le sens de la fête dans leur ADN » et « l’esprit sacré » des Fêtes.
Pour sa part, l’association « Bihar Baiona – Demain Bayonne », qui a 3 élu.e.s au conseil municipal, insistait, fin septembre, sur un point peu présent auparavant, à savoir le caractère payant des Fêtes (pour le regretter), qui n’empêchait pas la sur-fréquentation et alourdissait le coût de la sécurité. Elle participe à la commission extra-municipale des Fêtes, et regrettait que les propositions faites dès 2020 avec les associations bayonnaises pour « une version renouvelée des Fêtes, de leur organisation et de leur gouvernance » soient restées sans suite.
Pendant l’hiver 2022-23, l’association a organisé des ateliers de travail pour définir des « propositions opérationnelles » : « co-construction citoyenne / responsabilité sociale et environnementale » ; « élargissement du périmètre géographique » ; « diffuser, partager la culture de la fête ».
Mais le sur-tourisme n’est pas identifié comme un problème majeur, pas plus que le modèle économique des Fêtes.

De son côté, EH Bai a publié une déclaration sur les Fêtes le 24 octobre d’une tonalité beaucoup plus offensive, s’attaquant au modèle lui-même, cependant que ses propositions restent finalement très modestes.
Selon le parti abertzale, l’édition 2023 a été « celle de tous les excès », et il est impossible de « cautionner le modèle festif promu par la mairie ». Il relie l’« ambiance délétère » directement à la sur-fréquentation. Parmi les propositions jugées importantes : « la décroissance du format des Fêtes, des politiques efficaces contre les violences sexistes, la revalorisation de la culture, la baisse du nombre de déchets produits, la promotion de la langue basque, ou encore l’élargissement à d’autres quartiers ». Et, pour définir ce nouveau modèle, il en appelle aux Bayonnais.e.s et à leurs « initiatives populaires ».
La conclusion mérite d’être reprise en entier « la politique touristique et culturelle de la mairie de Bayonne est, selon nous, à remettre en cause dans sa globalité. Les Fêtes e Bayonne, la foire au jambon ou les lâchers de lanternes sont destinés à installer un tourisme de masse. Ce genre de projet rend impossible la participation des Bayonnais.e.s, il crée de fait un modèle culturel basé sur les retombées économiques, il n’est pas soutenable d’un point de vue écologique, et il aggrave potentiellement la crise du logement ».
Les élu.e.s non-majoritaires
Les trois groupes (BVO, Bihar Baiona et EELV se sont exprimés dans le magazine municipal de septembre, plus ou moins longuement selon l’espace accordé, proportionnel à leur nombre.
BVO a osé le terme « décivilisation » pour parler de la mort de Patrice Lanies et des nombreuses autres incivilités de toutes sortes. La sécurité et l’ambiance sonore sont ses principaux angles de critiques, avec le caractère payant des Fêtes, triplement rejeté : pour son caractère antisocial, pour son assimilation à un passe-droit par des festayres, et comme facteur supplémentaire d’insécurité.
Bihar Baiona a développé les mêmes analyses que dans sa tribune (voir plus haut), en insistant sur la nécessité d’une co-construction des prochaines Fêtes avec les habitants. Refusant aussi le bracelet payant, il a demandé une étude d’impact économique.
EELV a fustigé le déni par le maire et ses adjoints de leurs responsabilités dans les dérives des Fêtes ; il a dénoncé les campagnes de marketing outrancières et le « business de l’alcool éludé par la majorité ». Il a proposé de « se poser et réfléchir. Ensemble les habitants. Et pas un seul quarteron d’élus ». L’avenir des Fêtes passe par « mettre un terme à la mise en vente d’une ville où tout est permis ».

Ces angles d’attaque ont été repris lors du conseil du 19 octobre, profitant d’une délibération sur le paiement des forces de l’ordre (voir billet n°1), notamment le refus du caractère payant des fêtes ou la sécurité devenue ingérable à ce niveau de fréquentation. Et de contester les modalités de débat sur la réforme des Fêtes, où la majorité refuse plus que jamais une réflexion collective.
Pascal Lanies
Dernière intervention dans le débat public, celle de Pascal Lanies, le frère de Patrice, dans Sud Ouest du 30 novembre. Ses mots sont durs, à la mesure de la minimisation et du déni officiel de ce qui a conduit à la mort de son frère. A la mesure aussi d’un sentiment général à l’égard de ce que sont devenues les Fêtes.
Avec des très proches, il a fondé l’association « Aski » (Assez) pour honorer sa mémoire. Une affichette, avec le portrait de Patrice, a été éditée et figure sur nombre de vitrines du centre ville. Il interroge les conditions de prise en charge de son frère, et plus généralement les conditions de sécurité lors des Fêtes. Pour identifier la chaîne de responsabilités, la famille a porté plainte contre X et contre la ville de Bayonne. Elle s’est constituée partie civile.
Surtout, Pascal Lanies s’indigne que certains élus parlent d’« incident » ou d’« accident », et d’entendre qu’on ne peut pas faire de lien entre la mort de Patrice et les Fêtes, que ça aurait pu se passer avant ou après : « ce n’est pas un accident, c’est un meurtre, et il a été commis le soir de l’ouverture des Fêtes ».

Il remet aussi en cause l’organisation des Fêtes. Il a l’impression d’assister à un « concours de la plus grosse affluence » dans l’espace réduit du centre ville, restreint en plus par la prolifération des bars extérieurs. Il pense que les habitants « en ont assez » et trouvent que que les Fêtes ont changé. Il fustige le « « Bayonneland » et refuse que Bayonne devienne « un parc d’attraction où l’on vienne faire ce que l’on ne ferait pas ailleurs«
Le bilan « partagé » diffusé par le maire
Pascal Lanies avait sans doute eu connaissance de ce bilan officiel : la mort de Patrice a purement et simplement disparu de ce bilan. On ne saurait être davantage dans le déni de ce qui s’est passé lors des Fêtes. Son indignation se justifie pleinement.
Comme annoncé lors du conseil municipal du 19 octobre, le bilan « partagé » des Fêtes 2023, fait par la municipalité et les services, a été présenté à la Commission extra-municipale des Fêtes, aux cafetiers, restaurateurs, penas et forains. Puis le 27 novembre (ou le 25) aux anciens membres des conseils de quartier (dont le mandat vient de s’achever).
Au moment où ce billet est publié, il n’y a pas de compte rendu public de ces réunions. Mais les diapos qui ont introduit ces réunions sont parvenues jusqu’au Piment bayonnais. Toutes sont signées des services, et sûrement validées par le maire.
En liminaire, le bilan insiste sur le fait qu’il s’agit d’« éléments factuels », « chiffrés » : il faut ainsi comprendre qu’ils sont donc incontestables, et loin des réactions subjectives et émotionnelles des habitants. Voici donc quelques chiffres, les grands chapitres présents dans le bilan.
Indicateurs de fréquentation (2 diapos)
Les indicateurs choisis sont tous en forte hausse sur 2022 : téléphones portables, + 19 %; Bus de nuit, + 27 %; trains, +300 %; camping, + 39 % (saturé) ; pass d’entrée, + 18 % (285 600) ; 147 journalistes accrédités, en forte hausse.
Au total, l’estimation officielle est de 1 300 000 participants, en hausse de 20 % sur 2022. Avant le covid, en 2019, elle se montait à 900 000 participants.
Sécurité (4 diapos)
Le dispositif a été amélioré (il est décrit) et s’est avéré efficace
Le périmètre a été saturé au moment de l’ouverture et de la fermeture, ainsi que pour le réveil du roi Léon. Il est reconnu que l’accès des secours et le dégagement des personnes étaient rendus difficiles.
La gare routière (Lesseps) a bien fonctionné, mais la Place des Basques était au-dessus de ses capacités. Les concerts ont été volontairement interrompus à 2h30 pour la desserte des gares.
Malgré la pression « les dispositifs ont tenu bon ».
Il y a eu une activité très dense des services, avec un grand nombre de verbalisations pour stationnement sauvage, mictions publiques et nuisances sonores.
Secours et prévention (2 diapos)
« Un dispositif rodé et efficace ». Complété cette année par une équipe mobile à la gare routière. Il y a eu 1 322 prises en charge nocturne de festayres, en augmentation de 2,8 % sur 2022, moins forte que celle de la participation (NDR : il serait donc malvenu de se plaindre des excès). Il y a eu des moments de forte tension : le secteur Mayou / Victor Hugo au moment des cérémonies, les secteurs Halles, quais de la Nive et Porte d’Espagne tous les soirs.
Pour la prévention, 15 000 éthylotests ont été distribués, des actions de prévention ont eu lieu au camping et des maraudes dans le périmètre, avec une association spécialisée dans la lutte contre les addictions. Le bilan souligne le rôle des 58 penas et des deux points de repos dans le dispositif de prévention.
Hygiène et propreté (2 diapos)

28 blocs sanitaires sur 9 sites, dont 15 urinoirs. Et surtoit 80 nouveaux dispositifs (60 féminins, 10 mixtes et 10 masculins). Au final, 80 m³ d’urine collectés. « Un bilan global satisfaisant », malgré la rémanence importante de l’odeur d’urine
« Propreté, une intervention qui atteint ses limites » : globalement, l’état de la ville a été « très sale cette année » (NDR : les habitants sont d’accord) et les services étaient à la limite de leurs possibilités. « La cohabitation a été compliquée » entre le nettoyage et les livreurs le matin, « en raison de la configuration de la ville ».

Animations culturelles et festives (4 diapos)
« Mise en avant de la musique vivante: bandas, orchestres, choeurs ». 1300 musiciens dans l’espace public, 200 de plus qu’en 2022. Professionnalisation des grandes scènes avec des artistes de renom. Diversité des genres musicaux place de la République.
Penas (avec la sono à l’intérieur) et associations ont joué un « rôle majeur » dans cette mise en avant.
« Succès de toutes les animations », avec mention des animations portées par les penas : la foulée du festayre (10 500 participants) et la Nive en fête (200 participants). Mais le plus gros succès est celui de la course de vaches : 17 000 entrées, 3 000 de plus qu’en 2022, la place Paul-Bert devenant trop petite.
Succès aussi pour tous les spectacles, dont la journée des enfants, le festival de la force basque (12 000 participants), les manifestations sur l’eau et le « très beau corso ». Et en bas de cette diapo, un « NB : beau succès populaire des corridas »
Transports et stationnement (2 diapos)
Le parking et les espaces publics ont été saturés, la pression du stationnement sauvage a été énorme. Le parking des Fêtes a été saturé, avec 19 454 clients au lieu de 18 599 en 2022. Une offre renforcée, avec 3 parkings a été mise en place pour les vélos et les deux-roues.
En ce qui concerne l’offre de transports publics, il y a eu 210 000 voyages entre 20h30 et 4h en 5 jours, en hausse de 37 % sur 2022. Txiktxak proposait cette année un forfait pour les 5 jours des Fêtes, qui a connu « un vif succès », avec 18 500 vendus et 2 500 gratuits.
budget
Les recettes / dépenses confirment que la sécurité / secours représentent plus de la moitié des dépenses, et les animations 25% seulement.

Un bilan surréaliste
Des chiffres, cela permet de tenir à distance tout bilan politique, loin de la réalité. Il n’est pas certain qu’il ait satisfait les différents cercles où il a été présenté. Les problèmes sont gommés ; meurtre, viols, violences sexistes sont évacuées. Mais on sait tout sur les toilettes. Les incivilités se réduisent à l’urine. L’autosatisfaction parcourt tout le document.
Ce bilan est stupéfiant, mais après tout, il ne s’agit que d’un bilan technique, fait par les services, et seulement destiné à ouvrir une discussion. Mais validé obligatoirement par le maire. Est-il encore « connecté » à ce qui se passe dans sa ville ?
On en reparlera dans le prochain volet de cette série.
En attendant, on ne peut que sursauter, de nouveau, sur les mots du maire dans l’édito pour la plaquette de pub pour les fêtes de noël : « Grâce à un florilège d’animations, Noël reste un rendez-vous festif, culturel, commercial incontournable à destination tant des habitants que des visiteurs ». Noël était connu comme fête familiale. Cela devient un élément d’une politique commerciale et touristique. Le modèle municipal pour les Fêtes de Bayonne s’étend désormais à celles de Noël, après la foire au jambon et le lâcher de lanternes.
Patrick Petitjean, 1er décembre 2023.
Et merci à Xan Ansalas pour ses photos des Fêtes