Loi Darmanin : surenchères xénophobes

C’est un feuilleton qui dure depuis des mois. A la recherche d’une majorité à droite pour faire voter « sa loi », comme le fit jadis Sarkozy son inspirateur, Darmanin multiplie sans complexe les surenchères répressives avec Les Républicains. Des mobilisations contre cette loi sont attendues d’ici la fin de l’année.

Ce lundi 6 novembre la loi Darmanin contre l’immigration reprend son parcours législatif au Sénat, parcours qui avait été suspendu après son passage en commission de mars dernier.

Les polémiques politiciennes entre la majorité et la droite n’avaient pas cessé depuis cette suspension, elles vont se développer encore plus pour savoir qui est le plus répressif. Les surenchères xénophobes vont être de mise. Les étrangers sont pris en otages de conflits (très médiatisés à défaut d’être importants) au sein du gouvernement et de manœuvres pour dégager une éventuelle majorité à l’Assemblée nationale.

L’objet de ce billet n’est pas de détailler les très nombreuses mesures régressives et répressives contenues dans le projet de loi, Libération, Le Monde, Mediapart, Basta et d’autres le font déjà et continueront à le faire. Cela inclut le retour de la double peine, l’introduction du critère (oh combien flou et extensible) de « non respect des principes républicains » pour justifier des expulsions et des refus de régularisations, voire des déchéances de la nationalité. Et aussi l’invocation de la loi sur le « séparatisme » qui conduit à de multiples atteintes aux libertés. Et en plus, la suppression de l’AME (aide médicale d’état) réclamée par la droite et en voie d’acceptation par Darmanin. Et encore, par les mêmes, la volonté de désobéir aux conventions internationales. S’y ajoutent l’augmentation de la durée de rétention, l’extension sans limite des OQTF, doublés d’IRTF ; la restriction des recours. Darmanin, ou le lepénisme décomplexé.

Pour une critique globale et détaillée du projet de loi, on peut se référer notamment au Gisti : https://www.gisti.org/spip.php?page=sommaire

Par ailleurs, cette surenchère répressive s’accompagne de campagnes répétées contres les associations qui défendent les personnes exilées. Un appel à la solidarité a été lancé le 2 novembre par le Gisti, la LDH, le SAF, le SM et une vingtaine d’associations de défense des droits humains. On peut le retrouver sur Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/association-gisti/blog/031123/des-attaques-repetees-contre-les-associations-qui-defendent-les-exiles

Il se termine ainsi :

« La contestation voire le mépris affiché pour le respect par la France des conventions internationales, prônée par le ministère de l’Intérieur lui-même, et largement banalisée dans le débat politique et médiatique, témoigne d’une grave perte de repères sur ce qu’est l’État de droit. Alors que la période appelle apaisement et cohésion, les orientations gouvernementales nous projettent à l’inverse dans un abîme d’arbitraire, de stigmatisation et de précarisation accrue de nombreuses personnes étrangères ; des mécanismes qui ont toujours fait le lit des ressentiments et de la violence ».

De la circulaire à la loi ; puis de nouveau une circulaire ?

L’article 3 du projet de loi est devenu fameux par la place qu’il occupe dans les polémiques, article censé faciliter la régularisation administrative de personnes qui travaillent déjà. Cet article vise à instaurer un titre de séjour pour le travail dans les métiers dits en tension, valable un an seulement, renouvelable, et soumis à des critères stricts (8 fiches de paie et trois ans sur le territoire). La liste des « métiers en tension » reste arbitraire, soumise à révision régulière. Cette régularisation administrative potentielle assigne les travailleurs immigrés à leur utilité économique. Pas très humaniste.

Mais ce titre de séjour serait de plein droit. Un travailleur pourrait en faire la demande directement, sans passer par un patron, et sans être totalement soumis à l’arbitraire d’un préfet. Logiquement, l’ouverture d’un tel droit est une opportunité réelle, et donc un espoir, pour toutes les personnes dans cette situation. Il est donc impossible pour les associations de solidarités de s’y opposer frontalement, malgré les limites de cet article 3.

C’est ce qu’exprime très bien Marie Cosnay dans un entretien pour Libération le 3 novembre :

« Pour ma part, je soutiendrai cette mesure pour une raison simple : tous les gens sans papiers que je connais souhaitent qu’elle passe. De toute façon, ils travaillent déjà. Ils le font en se débrouillant, et les entreprises qui les emploient se débrouillent aussi. Quitter cette hypocrisie pour régulariser les travailleurs nous rendrait moins fous et donnerait des droits, même provisoires, en termes de santé et d’accès à des aides aux étrangers concernés. Bien sûr, ce n’est pas la mesure idéale à laquelle nous aspirons. Mais elle produirait quelques gains, et, personnellement, je ne m’autoriserais pas le luxe de les laisser de côté ».

Cet article 3 prendrait la suite de la « circulaire Valls », qui permettait depuis 2012 cette régularisation par le travail, tout en la soumettant à l’arbitraire des préfets et au bon vouloir des patrons qui, en faisant la demande pour leur ouvrier, reconnaissait par là même être dans l’illégalité et devaient payer une taxe spéciale. Malgré tout, au titre de cette circulaire, autour de 30 000 régularisations étaient faites chaque année.

C’est le cas, notamment ces dernières semaines, pour la régularisation de centaines de travailleurs « sans-papiers » qui, avec la CGT et la CNT, avaient fait grève sur des chantiers du Grand Paris et des JO2024 : https://basta.media/Travailleurs-sans-papiers-regularises-les-strategies-payantes-d-une-greve-efficace

Dans la chasse aux voix de droite pour faire passer sa loi à l’Assemblée nationale, Darmanin et le Gouvernement semblent prêts à abandonner la loi pour une nouvelle circulaire (et donc le rétablissement de l’arbitraire préfectoral) sur la régularisation par le travail : de la circulaire Valls à la circulaire Darmanin.

Le travail est un droit, le travail donne des droits

A Pays basque, un Collectif est né fin 2021 sur les problématiques de régularisation par le travail et l’application, ou la non-application, de la circulaire Valls au gré des préfets (Landes et Pyrénées Altlantiques) et de leurs mutations. Pour faire face aussi à la complexification des procédures.

Le Collectif est composé d’Etorkinekin Diakite et de la Cimade d’une part, et des syndicats LAB, CFDT, CGT-construction, FSU et Solidaires de l’autre. Des avocats y participent, et un lien est établi avec l’inspection du travail.

Il a déjà une longue histoire. Il a tenu une conférence de presse en mai 2022 sur cette situation, puis a organisé le 28 janvier dernier un forum-débat avec de nombr-eux-euses intervenant.e.s et près de 200 participants dans les locaux de l’Université à Bayonne.

Il a mis en place à la rentrée de septembre une permanence unitaire, dans les locaux d’Etorkinekin à Bayonne pour écouter et aider les salarié.e.s à connaître et, si nécessaire à faire valoir, leurs droits ou à constituer leur dossier de régularisation. Cette permanence est gratuite et confidentielle. Pour venir à la permanence, il faut prendre rendez-vous, par téléphone (07 45 24 47 65) ou par courriel (emploietrangers@gmail.com). Alors, lectrices et lecteurs de ce billet, si vous avez connaissance d’une telle situation, vous pouvez aider à mettre en lien vers cette permanence.

Le Collectif a organisé le 24 octobre à Bayonne un nouveau débat sur la loi Darmanin et la régularisation par le travail, avec la projection du film « Premier de corvée ». Une centaine de participants ont pu échanger (à distance) avec Julia Pascual, journaliste au Monde et coréalisatrice du film.

Devant le fort durcissement de la législation répressive qui se profile avec la loi Darmanin, le Collectif élargit ses objectifs : Détecter et aider les régularisations potentielles, individuelles ou collectives – contre la surexploitation, le respect du droit du travail pour les travailleurs migrants sans papiers ou en statut précaire – veille sur la situation locale, repérer les abus et les documenter.

Quel que soit l’issue finale, article 3 de la loi pour ouvrir un droit, ou circulaire qui maintienne l’arbitraire préfectoral, le Collectif ne manquera pas de travail.

Patrick Petitjean, 5 novembre 2023

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