
(mare au canards)
Jeudi 12 octobre, le collectif 22-Bergeret a organisé une réunion publique pour présenter ses propositions quant au futur du chantier interrompu depuis la chute de la grue, provoquant la mort du grutier, Mohamed Kichoui ; un chantier devenu friche. Le collectif avait invité la mairie de Bayonne, les deux constructeurs (Domofrance et COL) et l’EPFL propriétaire du terrain pour réagir en direct aux propositions. Ils étaient présents, sauf l’EPFL.
Le projet, le collectif, l’état des lieux
Plusieurs articles ont déjà été publiés sur ce blog à propos de l’accident de grue et du projet de construction. Voir en déroulant les différentes parutions du blog.
Rappel du projet
Le terrain avait été acquis par l’EPFL-PB (Etablissement Public Foncier Local du Pays basque, chargé de gérer le foncier pour le compte des communes) en 2014 pour le compte de la ville de Bayonne. Il est situé entre le quai Bergeret et le boulevard Alsace-Lorraine.
Le projet comporte deux bâtiments, 5 et 4 étages plus attiques, 1 parking souterrain. Domofrance (une filiale d’Action Logement pour l’Aquitaine), sur le bd Alsace Lorraine avec une trentaine de logements. Le COL (Comité Ouvrier du Logement, coopérative issue du mouvement des Castors au Pays basque après-guerre, aujourd’hui spécialisée dans l’accession sociale à la propriété et dans les projets participatifs) avec 15 logements pré-affectés par la ville de Bayonne pour une résidence participative seniors. Tous les logements sont proposés en accession sociale avec BRS (Bail Réel Solidaire), où le foncier reste public (pas de spéculation donc) et seul l’appartement est privé (avec des contraintes en cas de revente)
L’accident, le collectif de riverains
Le 9 mars 2022, la grue s’effondrait quelques heures après son installation dans un terrain inondé. Le grutier était tué, et l’immeuble voisin (le Carré Saint-Esprit) très endommagé. Le dernier étage était détruit et ses occupants, présents à l’intérieur, échappaient par miracle à la mort.
En solidarité avec toutes les victimes, un collectif a été créé par des riverains, pour obtenir la mise en sécurité du chantier, obtenir toutes les informations sur l’accident et ses suites, réfléchir à l’avenir de la parcelle.
Le 9 mars 2023, il a organisé un hommage au grutier, Mohamed Kichoui, avec les syndicats CGT et LAB du bâtiment. Plus d’une centaine d’habitants ont répondu à l’appel, pour manifester leur solidarité… mais sans aucun représentant de la mairie.

(plaque d’hommage)
L’état des lieux
Le chantier n’a pas repris, et s’est transformé en îlot de fraîcheur apprécié des riverains, dont une mare aux canards (voir photo à la une) et aux poissons. La végétation a aussi repris ses droits.


(Mare et retour du végétal en octobre 2023)
En septembre, les travaux de réparation de l’immeuble voisin ont débuté, pour plusieurs mois. Les ouvriers ont constaté les difficultés de fixer l’échafaudage côté chantier, sur une mince bande de terre molle entre la mare et l’immeuble.

(échafaudage sur le carré Saint-Esprit)
Pour un jardin mémoriel
Les riverains refusent l’effacement de l’accident mortel de Mohamed Kichoui et des autres victimes. Le chantier ne peut être relancé tel que comme s’il ne s’était rien passé. C’est pourtant ce qui semble être la première préoccupation de la mairie et du COL au vu de leurs annonces répétées de date pour cette reprise.
La proposition du collectif est d’inclure dans le projet un espace vert public, de taille suffisante, en plaine terre, qui constitue un espace mémoriel. Il y a actuellement dans l’ancien projet un tout petit espace vert privé (destiné à être un jardin partagé pour les propriétaires du bâtiment du COL). Evidemment inacceptable.
Le collectif a bien conscience que cela nécessite une modification du PC (Permis de Construire), voire une modification simplifiée du PLU (Plan Local d’Urbanisme)
A quelques blocs de l’îlot Bergeret (l’îlot Vigilant entre les rues Muscard, Bourbaki et Argote), un tel espace vert public avait pu être glissé dans un projet immobilier du COL (toujours en BRS), tout en nécessitant une modification du PLU (faite en 2019), une délibération du conseil municipal (en 2022) et une modification du PC. Les travaux vont commencé.
Le quartier est en demande d’espaces verts. Pourquoi ce qui a été possible pour Vigilant ne le serait pas pour Bergeret ?
Remettre sur le tapis la totalité du projet, y compris la programmation de logements
Le collectif avait fait au printemps dernier un sondage auprès d’une centaine de personnes. Sans surprise, les deux besoins qui sortent en premier sont les espaces verts et les logements, principalement les locations sociales. Sans surprise non plus, au vu de l’îlot de fraîcheur qu’est devenu le chantier, les habitants ne souhaitent pas de construction sur Bergeret.
Revoir très fortement la programmation des logements ou même faire table rase des bâtiments. Le collectif partage ces deux demandes, et laisse ces deux hypothèses encore ouvertes. Elles doivent être mises sur la table dans une re-discussion globale du projet.
Le collectif pose cette question : Ne faut-il pas profiter de l’arrêt du chantier pour revoir la programmation de logements, avec de vrais logements sociaux et en réduisant l’emprise des bâtiments pour laisser place à un espace vert ?
Rééquilibrer en faveur du locatif
Dans le projet actuel, tant Domofrance que le COL ne proposent que de l’accession dite sociale. Il n’y a pas de logements locatifs qui s’adressent aux jeunes, précaires, aux personnes de ressources modestes, notamment retraitées.
Pour mémoire : il y a 5000 habitants de Bayonne sur les listes de demande de logements sociaux. Ils et elles sont candidats à la location, pas à la propriété pour la plupart.
La mairie semble considérer qu’il y a suffisamment de diversité sociale à Saint-Esprit, et privilégie l’accession, au risque d’une gentrification. Cela se voit dans les contraintes souples au niveau du plan local de l’urbanisme, le PLU. Le seuil pour l’obligation de logements sociaux (avec une partie obligatoire de locatif) par opération immobilière est actuellement de 31 logements dans le quartier. Une révision proche va l’abaisser à 20. Cela reste très insuffisant.
La plate forme « Herrian Bizi », qui a organisé les manifestions sur le logement et regroupe de très nombreuses associations concernées et compétentes sur le logement, préconise un seuil de 3 ou 4 logements en général, avec davantage de locatif que d’accession. A Grenoble, ce seuil est de 3
Une alternative pour une résidence seniors participative
La mairie a décidé de faire une résidence seniors sur l’îlot Bergeret, c’est très bien, il en faut, et c’est son droit. Mais pourquoi en BRS, en plus pour des copropriétaires (les candidat.e.s du COL, sauf une, selon la presse) ? C’est son choix politique, mais ce n’est pas le seul possible
Si on veut faire une résidence seniors participative, pour des milieux populaires, il y a l’exemple de l’association Gurekinen, partenariat avec le COL, à Urt. C’est un projet de37 logements avec 27 locatifs et seulement 10 en BRS. Il y a 7 HLM stards et 3 très sociaux. Restent 17 logements locatifs, T1 et T2, sous forme d’une « maison partagée », avec des espaces collectifs. La maison partagée donne lieu à un processus participatif classique avec les futurs locataires.
37 logements, c’est le même ordre de grandeur que les 45 de Bergeret : Un projet semblable est concevable pour Bergeret, et contribuerait à réduire l’emprise des bâtiments et laisser de la place pour un espace vert public. Une proposition à débattre pour un nouveau PC
Mettre en oeuvre les principes de précaution et d’anticipation
Le collectif pose une autre question : Quelles leçons ont été tirées de l’accident avant une éventuelle reprise du chantier, avec ce sol spongieux. Quels est l’état des sols ? Quelles précautions pour construire dans la nappe phréatique ? Quelle anticipation des risques d’inondation en 2050 avec l’augmentation du niveau des océans ?
Il s’agit à la fois de précaution et d’anticipation.
L’îlot Vigilant est officiellement en zone inondable, contrairement à Bergeret, pourtant au bord de l’Adour. Le parking est donc tenu à un double coffrage, pas celui de Bergeret.
Pour les années qui viennent la ville a un grand projet d’urbanisme voisin, de l’autre côté du pont Saint Esprit, vers l’aval. Elle l’explique régulièrement, « l’inondabilité du secteur constituera un vrai sujet dans les décennies à venir ». Etait-il vraiment impossible, il y a 10 ans, d’anticiper ce risque d’inondabilité, 200m en amont de ce grand projet ?
Dans une plaquette diffusée en 2022, la ville expose son intention de lutter contre l’artificialisation des sols, pour les îlots de fraîcheur et le végétal en pleine terre.



Super de super. Mais n’était-il pas possible d’anticiper à Bergeret, en arrêtant la bétonnisation galopante du quartier ? Conçu il y a plus de 10ans, le projet actuel est un projet anachronique du « temps d’avant ». Pourquoi ne pas profiter de l’arrêt du chantier pour le reprendre complètement ?
Pour une concertation publique sur l’avenir du site
Le collectif demande une telle concertation depuis plus d’un an, mais se heurte à un refus de discussion. Il demande, pour le moins, que ce refus soit sérieusement motivé. Que de temps perdu ?
Il faut rappeler par ailleurs qu’un procès concernant l’accident va avoir lieu, que l’expert n’a pas rendu son rapport final, et qu’au-delà de Lapix, il y a les donneurs d’ordre, dont le maire qui a signé le PC. Une éventuelle reprise précipitée du chantier poserait le problème de sa responsabilité pour défaut de précaution.
Une concertation peut se faire dans les 4 à 6 mois à venir, voir plus, période dans laquelle le chantier ne pourra techniquement pas reprendre. Et déboucher sur une modification du PC, avec un nouvel équilibre espaces bâtis / espaces verts, et sur une nouvelle programmation beaucoup plus sociale.
Les conditions de reprise du chantier ne sont pas réunies. Malgré tout, le COL, Domofrance et la mairie ont convoqué, en réaction à la réunion publique du collectif, leur propre réunion 5 jours après, le 16 octobre. Avec au menu la reprise du chantier, avec la participation des entreprises concernées
Le débat avec les porteurs du projet actuel
La municipalité et le COL étaient déjà venues (sans avoir été invités) lors de la première réunion publique du collectif en janvier dernier. Cette fois-ci, ils étaient confrontés à des questions et propositions plus élaborées quant à l’avenir de la friche. Les échanges entre les participants et les porteurs du projet actuel ont été courtois, riches, mais n’ont pu que constater une impasse complète.
En premier lieu, les demandes d’information sur les études faites (ou à faire) sur les sols et l’inondabilité sont restées sans réponses
Un côté très positif cependant : le collectif a réussi à maintenir ses propres termes du débat : « quel type de logement social et pour quels habitants » et sur la complémentarité entre logements et espaces verts. Et donc en ne laissant pas les autorités le renvoyer dans une fausse alternative entre logements et espaces verts.
La discussion a porté sur le refus de remettre en cause le moindre aspect du projet actuel et donc le refus de toute concertation. Le COL et Domofrance ont surtout mis en avant les arguments économiques : les marchés déjà signés, les promesses de ventes, tous les coûts en augmentation. On a appris au passage que si les 15 logements du COL étaient déjà attribués, il restait à Domofrance quelques logements à vendre, la commercialisation ayant été arrêtée à la suite de l’accident.
Il y avait trois élu.e.s présent.e.s : Joseba Erremundeguy (conseiller délégué aux relations avec les conseils de quartier), Laurence Hardouin (adjointe à la transition) et Alain Laccasagne (adjoint à l’urbanisme). Plusieurs registres ont été mobilisés pour récuser toute remise en débat :
– la défense de l’accession sociale à la propriété (par le trio), supposée permettre de loger les classes moyennes inférieures qui, comme chacun sait, rêvent de devenir propriétaires, surtout les personnes âgées au bout de leur « parcours résidentiel » (sic). C’est d’ailleurs le thème de la propagande d’Alday, promoteur bayonnais bien connu, pour vendre ses appartements « en accession maîtrisée » au Prissé. Comme si les BRS étaient vraiment accessibles à toutes les classes moyennes, surtout en ce moment, avec les difficultés de crédit et l’inflation. En contre partie, évidemment, pas un mot pour défendre le locatif social à Saint Esprit.
– la responsabilité morale des élus (par JE et AL), envers les futurs habitants, qui ont signé des « réservations » et attendent leur appartement depuis des années (la livraison du bâtiment du COL était prévue en 2021, mais le covid, puis l’accident…). Sans éviter le registre larmoyant : certains sont très âgés et ne peuvent plus attendre
– un BRS qui se crée, c’est une location qui se libère, (par le COL). Sauf qu’à Bergeret, les futurs propriétaires sont déjà propriétaires, sauf une qui a été mise en avant lors de la réunion. Dans un entretien à Sud Ouest en juin dernier, la présidente de l’association qui a bénéficié des BRS avait elle-même reconnu ses membres étaient déjà propriétaires.
– on a commencé à faire, et on va le faire de plus en plus (LH), pour répondre à notre référence à la plaquette de la ville. Mais plus tard, ou ailleurs à Saint Esprit.
– autoritaire (JE), avec cette affirmation choc : « La concertation, c’était les élections municipales. Ce projet était dans notre programme ».
à suivre
On en est resté là ce 12 octobre. Les discussions reprendront le lundi 16 avec le COL, Domofrance et le maire à la barre. Elles ne seront pas les dernières dans ce dossier.
Patrick Petitjean, le 16 octobre 2023
Voir aussi sur cette soirée : http://ramdam6440.fr/2023/10/16/le-collectif-22-quai-bergeret-enfin-pris-au-serieux/
Le site du collectif : http://22quaibergeret.fr
