
(grue effondrée vue d’un 8e étage)
Un projet de résidence sociale participative pour seniors en questions
Le Collectif 22-Bergeret a été formé par des riverains en mars 2022 au lendemain de la chute de la grue, moins de 24h après son installation sur le chantier, qui a provoqué la mort du grutier, Mohamed Kichouhi.
Depuis, on a l’impression que les responsables (Ville, COL, Domofrance, Association) veulent « annuler » cette mort et les traumatismes collatéraux.
Sur cette parcelle, entre le quai Bergeret et le boulevard Alsace-Lorraine, devait être construits deux immeubles de 30 et 15 appartements, en accession sociale de type BRS. Le chantier est à l’arrêt depuis l’accident du 9 mars 2022.

(grue effondrée sur le boulevard)
Conférence de presse
Le Collectif a tenu une conférence de presse le 26 juin à Bayonne pour faire le point sur ses activités et sur la situation, alors qu’on s’approche du début des réparations de l’immeuble voisin, le Carré Saint-Esprit, sur lequel était tombée la grue, détruisant intégralement le dernier étage. Un échafaudage doit être installé cet été le long de l’immeuble, pour une durée de 4 ou 5 mois. L’expertise judiciaire étant conclusive sur les responsabilités, les assurances n’ont eu d’autre choix que d’avancer le financement des travaux, sans attendre le jugement définitif. Il faudra attendre encore pour que justice soit rendue à Mohamed Kichouhi et aux victimes collatérales.
Le terrain du chantier, proche de l’Adour, a la particularité d’être inondé en permanence, avant même la tentative d’installation de la grue. Aujourd’hui, c’est une mare aux canards, et aux poissons rouges. Le Collectif demande les expertises de sols, préalables aux travaux, ainsi que celle réalisée quelques mois après l’accident, sans les obtenir.

(grue dans mare)

(mare aux canards)
Le Collectif a rencontré le maire le 5 juin pour redire son opposition à la reprise du chantier tel que, et pour demander la suspension du permis de construire afin de revoir le projet en tenant compte des attentes des habitants du quartier. C’est peu dire qu’il n’a pas été entendu
Volonté d’effacement, indifférence et absence d’empathie
La Ville et les opérateurs immobiliers (le COL et Domofrance) veulent avant tout effacer l’accident et rependre le chantier comme s’il ne s’était rien passé. Aucun n’était présent lors de l’hommage rendu à Mohamed Kichouhi le 9 mars de cette année.

(hommage 9 mars 2023)

(chaîne à l’endroit où la grue était tombée sur le boulevard)

L’indifférence par rapport aux victimes se double de l’impatience réaffirmée de prendre le chantier au plus vite. Reprise d’abord annoncée pour ce printemps maintenant pour cet automne. Ils veulent profiter des travaux sur le Carré pour reprendre leur construction en parallèle, même si la coexistence d’un échafaudage et d’une grue semble techniquement problématique.
Le Collectif n’a pas perçu la moindre empathie de leur part depuis l’accident. Les victimes, ce sont d’abord le grutier et sa famille, ce sont aussi des femmes, des hommes, du Carré et du voisinage, ce n’est pas le COL, Domofrance ou Lapix qui se plaignent des coûts dus aux retards
Le Collectif refuse un tel effacement et défend la mémoire du grutier.
C’est la raison essentielle pour laquelle il refuse la reprise du chantier et défend une révision complète du projet, et donc des modifications du PC. Il est tout-à-fait possible d’allier jardin de la mémoire, espaces vers et logements (vraiment) sociaux. Cela correspond d’ailleurs aux attentes des habitants telles que recueillies par le Collectif dans un sondage en cours
Avant d’en venir au COL, deux bizarreries de Domofrance
Si l’on en croit le PC officiel, affiché depuis 3 ans, Domofrance est le titulaire principal : 45 logements, en accession, sous le titre La Psyché.

(photo PC modificatif)
Ce qui nous interroge sur la manière dont le PLU a été appliqué par la mairie. Avec ce nombre de logements, 45, il aurait eu y avoir, selon le PLU, du locatif social, pas seulement de l’accession sociale. Ce n’est pas le cas à notre connaissance. Comme il y a 2 bâtiments, un de 30 logements pour Domofrance, et un de 15 pour le COL, faut-il en déduire que l’application du PLU peut-être fractionnée sur chaque bâtiment ? Cela mériterait des explications de Domofrance et du maire.
Sur le site de Domofrance, depuis le 23/6/21, une page est consacrée à la promotion des BRS et à leur commercialisation par sa filiale ExterrA. Une première opération exemplaire était mise en exergue, avec une présentation complète : La Psyché. Curieusement, depuis quelques mois, la page BRS du site a été « purgée » de toute mention de La Psyché. Pourquoi cette disparition ?
Zubi Mayou
Confié par le maire de Bayonne à l’association « Âge et partage 64 », le partie COL du projet comporte 15 appartements en BRS pour une « résidence sociale participative seniors ». Cette résidence, Zubi Mayou, est défendue comme social et exemplaire. Mais suscite une méfiance de plus en plus grande, voire maintenant un rejet, de la part des riverains.
Le Collectif 22-Bergeret en est venu à s’interroger sur les origines et sur l’exemplarité du projet. Il a été particulièrement échaudé par un entretien donné par l’association à Sud Ouest le 5 juin, le jour même où le Collectif rencontrait le maire de Bayonne, pas un hasard.
L’Association avait disparu depuis l’accident, et n’avait jamais manifesté la moindre empathie enver les victimes. Elle avait été absente lors de la commémoration en mémoire du grutier le 9 mars 2023. Là, elle réapparaît pour annoncer la reprise prochaine du chantier de construction, en se faisant photographier devant une palissade du chantier comme pour dire : Nous sommes de retour, nous sommes chez nous, nous prenons possession du lieu. Les riverains ont été choqués par cette volonté d’effacement de ce qui s’est passé depuis 15 mois, par ce cynisme « Âge et partage 64 » n’est pas concernée a-t-elle déclaré au journaliste.

(la palissade qui a servi de toile de fond pour l’entretien de l’Association le 5 juin)
Des BRS pour propriétaires ?
A la lecture de l’entretien avec « Âge et Partage 64 » dans Sud Ouest du 5 juin 2023, le Collectif a appris que les membres de l’Association étaient déjà des propriétaires, même si leurs revenus restent sous le plafond d’accession aux BRS.
Les BRS sont en principe faits pour les primo-accédants, sans que ce soit une obligation. Ils sont considérés comme du logement social dans la loi SRU, même si ce n’est pas ce que demandent les 5000 inscrits à Bayonne pour avoir un logement locatif social. Les besoins, dans notre quartier comme ailleurs sont de la location sociale, pas de l’accession,même sociale.
Des BRS pour des déjà-propriétaires, c’est autre chose. Parler de logement social pour Zubi Mayou, avec des déjà-propriétaires, est donc assez mystificateur, voire provocateur envers les demandeurs de logement.
Dans sa communication, le COL dit que le « parcours résidentiel » typique fait que se libère un locatif social lorqu’il construit un BRS. Ce n’est pas le cas avec les déjà-propriétaires de Bizi Mayou. Que reste-t-il alors de la légitimité « logement social » du projet du COL dans ces conditions ?
Ni coopérative, ni habitat social, une copropriété
Lors de la constitution du groupe d’habitants en septembre 2017, si l’on en croit un article de Sud Ouest le 27.9.17, référence était faite à des projets similaires pour seniors comme Chamarel à Vaux-en-Velin (livré en 2017), Boboyakas à Bègles : mais ce sont des coopératives, de la propriété collective, solidaire. Les Babayagas à Montreuil étaient aussi mentionnées : mais c’est de la location sociale. A ‘époque donc, le choix d’un modèle par l’Association semble encore ouvert.
Une coopérative, c’est un choix intermédiaire entre la propriété et la location. La propriété est collective, chaque famille achète des parts sociales en fonction de ses moyens, et possède une voix dans la coopérative. Elle paie une redevance à la coopérative en fonction de ses parts sociales.
Le Collectif Bergeret défend aussi ces projets participatifs pour seniors prioritairement en coopérative.
Mais Zubi Mayou, ce n’est pas cela. C’est de la copropriété individuelle.
Pourquoi ce choix final par le COL beaucoup moins social, de propriétaires individuels ? Sans mixité sociale ni mixité intergénérationnelle ? Alors qu’en 2017, l’Association semblait hésiter entre les différents modèles, et ne pas écarter un mélange.
Pourquoi un projet en copropriété ? Sans location sociale ? Pourquoi pas en coopérative ? Pourquoi pas intergénérationnel ?
Sortie du portage foncier, mais pas de l’EPFL. Le prix du m².
Le conseil municipal de Bayonne a pris le 18 juillet 2019 une délibération pour clôturer le portage du foncier par l’EPFL de l’îlot Bergeret, et en fixer les modalités de sortie. Le foncier restera rpriété de l’EPFL et sera remboursée des annuités versées depuis 2016 à l’EPFL. C’est donc Bizitegia, l’OFS de l’EPFL (et donc de la CAPB en dernier ressort), qui conclura les BRS avec les propriétaires des appartements construits par le COL et Domofrance. Le foncier ne sera pas rétrocédé au COL ou à Domofrance. Cela donne à Bizitegia le pouvoir de vérifier que les postulants répondent bien aux critères des BRS et de définir ce qui se passe en cas de décès pour maintenir la définition « résidence seniors ».
La délibération du conseil municipal a fixé le montant de la redevance (1,5 euros par mois et par m²) pour le foncier, sa durée (60 ans), qui est indexée sur l’indice de la construction. Il a surtout fixé le prix des appartements : 30 % en dessous du prix du marché.
Pour des déja-propriétaires, cela pose question. Selon l’association (Sud Ouest, 5.6.23) le prix a été fixé par le COL à 2600 euros du m². En zone tendue, nous sommes dans des prix spéculatifs : avec vue sur l’Adour, à côté du futur Zubi Mayou, le prix atteint près de 6000 euros le m². À côté, le prix proposé par le COL, c’est cadeau. D’autant plus que pour acheter avec un BRS, les déjà-propriétaires devront vendre leur résidence actuelle. A des prix du marché…

(maquette du futur Zubi Mayou)
Attribution discrétionnaire : quel mode de décision et annonce publique?
Quand d’autres villes attribuent du foncier public à des groupes d’habitants déjà constitués, c’est sur la base d’appel à projets. Ainsi, la ville de Paris, pionnière en la matière, a lancé en 2013 un appel à projets pour 3 parcelles. Il y a eu une trentaine de groupes candidats.
Pour Bayonne, un tel appel à projets pour une résidence seniors a-t-il existé pour la parcelle du 22 quai Bergeret ? Il n’y en a pas trace, ni dans les arhives de Sud Ouest, ni dans la mémoire des habitants de Saint-Esprit. S’agit-il d’une attribution discrétionnaire par le maire de Bayonne, tant Zubi Mayou était exemplaire ?
On peut le craindre. Dans le 1er article, fin septembre 2017, l’Association dit ne pas encore avoir de foncier pour son projet et annonce des rencontres avec les maires d’Anglet, Bayonne et Biarritz. Mais dans le 2e, le 3 octobre 2018, tout semble réglé. La ville de Bayonne leur a proposé le terrain du 22 quai Begeret, et le COL s’est engagé derrière l’association pour la construction. Le permis de construire pour Zubi Mayou aurait même été déposé (en fait, comme le bâtiment prévu n’était pas conforme et nécessitait une révision préalable du PLU, qui aura lieu en 2019, et le PC n’a pu être déposé qu’en décembre 2019). Dans le Sud Ouest du 3.10.18, les animatrices de l’Association se font photographier devant la maison basque du 22 quai Bergeret destinée à être démolie.
La date de livraison des appartements est pour le 1er semestre 2021…

(maison du 22 quai Bergeret avant démolition)
Parachutage à Saint Esprit
En général, pour l’habitat participatif, les bailleurs constituent eux-mêmes les groupes d’habitants, en organisant des réunions d’habitants candidats dans le quartier concerné. Ils n’aiment pas trop, en général, les groupes déjà constitués en dehors d’eux. HSA a procédé ainsi avec un appel public pour son habitat participatif au Prissé. Le COL lui-même a procédé ainsi pour son habitat participatif de l’îlot Vigilant, à Saint Esprit, à quelques rues de l’îlot Bergeret. Après ces appels publics HSA et le COL constituent les groupes.
Mais pour Zubi Mayou, les riverains n’ont pas souvenir d’un appel public dans le quartier pour ce projet, ni même d’une simple réunion d’information pour le leur présenter. « Âge et partage 64 » a été constituée à Anglet, pourquoi pas, elle est légitime à venir s’installer à Bayonne, Mais cette manière de le faire ressemble à du parachutage, au nom de l’exemplarité du projet.
Quel objectif pour le COL ?
Reste la question de la stratégie du COL et de ses relations avec l’Association. La présidente de l’Association est une ancienne présidente du COL, toujours membre de son conseil d’administration, également représentante du COL au conseil d’administration de l’union des coopératives HLM, de plus présidente de l’association des coopérateurs du COL. Le moins que l’on puisse dire est que l’Association est organiquement liée au COL. Faut-il y voir l’origine de la volonté du COL de mener coûte que coûte ce projet, de son mode parachutage qui tranche avec d’autres projets soutenus par le COL ? L’origine de l’attribution discrétionnaire du terrain par le maire de Bayonne ?
On peut s’interroger aussi sur ce qui a conduit au modèle d’une copropriété et non d’une coopérative ou d’une mixité ? C’est sans doute plus simple et plus reproductible pour le COL. Faut-il alors y voir une stratégie de développement du COL sur le créneau des résidences sociales pour seniors, en utilisant Zubi Mayou comme un produit d’appel ? Entre les EHPAD et les Senioriales (inaccessibles aux personnes modestes), il y a nécessité de modèles accessibles, plus humains, plus respectueux des personnes âgées. Et des résidences participatives en BRS, promues par le COL jusqu’à Toulouse, peuvent y contribuer.
D’autres modèles exemplaires de résidences seniors participatives
Plus haut, ont été mentionnées les coopératives Chamarel à Vaux-en-Velin et Boboyakas à Bègles (cette dernière ayant le soutien et la garantie financière du COL). Egalement la réalisation de la maison des Babayagas à Montreuil, en locatif social.
Au Pays basque même, l’association Gurekin promeut un habitat participatif pour personnes âgées, sous forme d’appartements à louer dans une maison partagée, avec des locaux communs, à l’intérieur ou dans un bâtiment annexe. Un partenariat avec le COL, avec à côté des appartements en BRS, permet une mixité intergénérationnelle. A Urt, une telle résidence vient d’être livrée. Une autre va voir le jour à Hasparren.
Un projet de coopérative d’habitants est en cours à Irissarry, avec la construction d’appartements dans une ancienne ferme, qui peine à obtenir le soutien de la CAPB : le modèle « coopérative d’habitants » n’a pas encore fait son chemin dans cette institution.
Pour conclure
On peut regretter qu’un projet de résidence seniors participative qui aurait pu être exemplaire ait pris cette direction et ait perdu sa légitimité. Comme l’ensemble du projet, elle doit être remise en cause
Le Collectif a demandé lors de la rencontre du 5 juin avec le maire, et persiste à le demander, la mise en œuvre à court terme d’un processus de concertation sur l’avenir de l’îlot Bergeret analogue à celui que la CAPB conduit pour le projet voisin « Rive droite de l’Adour », partant des attentes des habitants et débouchant sur des propositions de modification du PC. Ceci, en préalable à la reprise du chantier.
En tout état de cause, le Collectif n’accepte pas l’« annulation » de l’accident mortel et de ses conséquences par les promoteurs de cette opération.
Patrick Petitjean, 3 juillet 2023
Annexes
Synthèse de la chronologie
– Des préemptions de l’EPFL pour la ville entre 2015 et 2016
– Une association pour une « résidence sociale seniors » déclarée le 3/8/17 et constituée fin septembre 2017 à Anglet
– Avril 2018, une modification du POS est lancée pour l’adapter aux projet Bergeret (aau lieu que ces projets s’adaptent au POS. Curieuse politique municipale. C’est la 16e modification du POS de Bayonne). Elle donne lieu à une enquête publique en juin-juillet 2019. Le rapport du commissaire enquêteur mentionne le projet de résidence seniors du COL comme motif de la modification du PLU.
– Entre temps, le 18 juillet 2019, le Conseil municipal de Bayonne décide de clôturer le portage foncier et en définit les modalités : voir plus haut.
– Cette modification est adoptée le 9/11/19 par le Conseil de la CAPB, et le PC déposé conjointement par le COL et Domofrance dans la foulée le 6/12/19. L’immeuble Zubi Mayou avait été défini bien avant ce dépôt.
– Le PC a été accordé le 29/5/20, et les travaux engagés dans la foulée.
– Le 15 avril 2022, de légères modifications sont accordées au PC
– Le 9 mars 2022, la grue est tombée, Mohamed Kichoui est mort, et le chantier est arrêté.
Glossaire
BRS : Bail Réel Solidaire
CAPB : Communauté d’Agglomération du Pays basque
COL : Comité Ouvrier pour le Logement (coopérative HLM)
Domofrance (bailleur social)
EHPAD : Etablisement Hospitalier pour Personnes Âgées Dépendantes
EPFL : Etablissement Public Foncier Local
HSA : Habitat Sud Atlantique (bailleur social de la CAPB)
OFS : Office Foncier Solidaire
PC : Permis de Construire
PLU : Plan Local d’Urbanisme
SRU : Solidarité et Rénovation Urbaine (loi pour forcer la construction de logements sociaux)
Articles antérieurs sur le sujet
https://lepimentbayonnais.fr/2023/05/26/bergeret-a-saint-esprit-2/
https://lepimentbayonnais.fr/2023/05/26/bergeret-a-saint-esprit/
https://lepimentbayonnais.fr/2023/05/26/bergeret-a-saint-esprit-4/