
Îlot Bergeret : le chantier de trop à Saint-Esprit ?
La maison du 22 quai Bergeret (photo ci-dessus) a été démolie en avril 21 (photo maison à terre). Les hangars du boulevard Alsace-Lorraine ont suivi. On est ensuite passé au stade du creusement d’un trou pour les futures fondations des immeubles.

L’eau n’a pas été longue à envahir ce trou. Il y a eu des pompages réguliers Il semble même que le chantier a été interrompu quelque temps. Mais cela n’a pas empêché l’installation des piliers pour le montage de la grue, qui a commencé le 8 mars 2022 (voir photo montage). Elle s’est effondrée dès le 9 mars.

Un expert judiciaire a recherché les causes de l’effondrement. Dans son rapport remis en décembre dernier, il pointe une faute dans le coulage d’une pièce en béton sur l’un des 4 piliers d’appui de la grue. Ce béton aurait été coulé trop bas, et serait devenu sans consistance. Avant que cette pièce ait pu sécher convenablement, le niveau d’eau avait bougé. L’expert note le rôle probable de la marée, qui fait baisser et hausser le niveau de l’Adour voisin. Une enquête est en cours pour « homicide involontaire », et ce sera au tribunal de valider les causes de l’accident et surtout les responsabilités. Dans quelques années…
Curieusement, malgré sa proximité de l’Adour, l’îlot Bergeret n’est pas situé officiellement en zone inondable, au titre de la zone reconnue par le Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI). A ce titre, il n’est pas obligatoire de prendre en compte un tel risque pour l’obtention du Permis de Construire. Dans le PC « Bergeret », on ne trouve donc aucune analyse de sol, du niveau de la nappe phréatique, etc. Cela ne veut pas dire que le COL ou Domofrance n’aient pas fait procéder à ce genre d’analyses. On peut espérer qu’elles existent, question de responsabilité des constructeurs, au-delà du respect formel des règles du PC.
Le 2 mars de cette année, le COL a fait installer deux colonnes (voir photo) pour procéder à des sondages hydrogéologiques « en préalable à la reprise du chantier », selon le directeur du COL lui-même dans Sud Ouest, qui précise que la date n’en est pas fixée, et qu’une réunion d’information sera organisée en préalable en direction des riverains.

Pourtant, l’Adour déborde régulièrement. Il y a notamment eu des crues importantes en décembre 2019 et décembre 2021. Les fortes pluies de décembre 2019 avaient inondé quelques rues du quartier, à quelques dizaines de mètres de l’îlot Bergeret, avant le début chantier. Ces rues sont en contrebas une colline, et sont victimes d’un ruissellement typique dû à l’artificialisation des sols en raison des multiples constructions. D’ailleurs, les cartes gardent trace d’un ruisseau venant de cette colline et allant vers l’Adour, ruisseau aujourd’hui disparu. L’eau passe par où elle peut, et l’artificialisation modifie le régime de circulation des eaux souterraines.
Si l’îlot Bergeret ne relève pas du PPRI, ce n’est pas le cas d’un autre chantier du COL, plus au coeur du quartier, à moins d’une centaine de mètres de l’Adour. Le PC pour cette opération, dite « Vigilante » (du nom d’une association sportive qui utilisait la parcelle), a été demandé, et obtenu, à peu près en même temps que celui pour Bergeret. Le chantier a pris du retard pour tenir compte de la modification n°16 du PLU (dont j’ai parlé dans le 1er billet sur Bergeret). Mais qui, pour cette opération, contenait des modifications plus importantes, pour y insérer un jardin public demandé par des habitants du quartier.
Le PPRI avait été prescrit le 23/07/2012 par le Préfet et délimité les zones inondables du quartier. Le projet « Vigilante » est dans cette zone, et d’ailleurs, il est situé près des rues qui ont été inondées en 2019. Pour le dossier du PC, des études spécifiques étaient obligatoires, même si le PC ne comporte qu’une attestation de l’architecte qu’elles ont bien été faites…
Le PPRI définit une côte de référence, celle d’une crue de fréquence centennale. Dans la décision d’accorder le PC, tout un article détaille les obligations qui en découlent : ne pas construire d’habitations sous cette côte, n’utiliser que des matériaux adaptés sous cette côte, interdiction d’installations électriques, etc. Des prescriptions spécifiques concernent d’éventuels parkings souterrains, notamment des caissons supplémentaires de protection.
Le PPRI ne s’appliquant pas pour l’îlot Bergeret, rien de tout cela be figure au PC, même s’il comporte aussi un parking souterrain

Tout cette zone a été construite sur d’anciens marécages. Beaucoup d’immeubles ont été construits (photo) le long du quai, mais surtout le long du boulevard Alsace-Lorraine. Parfois de 8 étages. Cela ne pose pas a priori de problèmes techniques de construire dans des zones marécageuses. Mais visiblement, l’eau « aime » envahir la dernière zone, non construite, de « liberté » dans le quartier : elle s’y est installée dans le trou il y a près de 2 ans, et n’en bouge pas (photo).

Au-delà des raisons techniques, la chute de la grue n’est-elle pas la conséquence d’un trop plein d’artificialisation des sols, dans ce quartier ? Même si la légalité a été formellement respectée, la maire (qui signe le PC), le COL et Domofrance (les opérateurs), l’EPFL (Etablissement Public Foncier Local, propriétaire du terrain), ont-ils pris la mesure du problème des modifications du régime des eaux ?
Dans le 4e (et dernier) billet, je reviendrai sur les multiples raisons de refuser la reprise du chantier.
Patrick Petitjean, 14 mars 2023
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