Interdire les corridas aux moins de 16 ans

La proposition d’interdire les corridas aux mineurs de moins de 16 ans devrait revenir dans les débats du Sénat et de l’Assemblée nationale en novembre, à travers deux propositions de loi d’initiative parlementaire (PPL). L’émoi est grand chez les partisans des corridas, qui crient à leur mort programmée et se mobilisent préventivement. Même si les chances de succès de ces PPL semblent plus que limitées.

PPL n°2, 24 novembre

La première PPL pour interdire les corridas aux mineurs de moins de 16 ans, qui a provoqué la colère du lobby tauromachique, est celle déposée par Aymeric Caron dans la prochaine niche de LFI à l’Assemblée Nationale (AN) le 24 novembre. On se souvient que la première tentative d’Aymeric Caron en 2022 était restée sans suite, LFI ayant mis une priorité basse sur cette PPL ; en conséquence, elle n’avait pas eu le temps d’être discutée dans cette niche.

Fin août, le maire de Mont de Marsan, Charles Dayot, qui est aussi vice-président de l’Union des Villes Taurines Françaises (UVTF), avait lancé une contre-offensive ; il a organisé un rassemblement de représentants des penas montoises et d’organisateurs de corridas, où il a présenté le contre-argumentaire de l’UVTF, au nom des 56 villes et 3 régions qui en sont membres. Il était accompagné du président de l’Observatoire National des Cultures Taurines (ONCT), André Viard, écrivain propagandiste des corridas.

Contre Aymeric Caron, accusé de parler des corridas comme d’une « culture archaïque, immorale et barbare »,Charles Dayot déplace l’argumentation de la défense des traditions vers celle des « libertés culturelles ». A l’instar de l’évolution du vocabulaire des pro-corridas, il parle de culture, de spectacles, et « blanchit » le terme « corridas ». Et de reprendre aussi, en bon maire de droite, l’image de LFI qui sèmerait volontairement le chaos à l’AN.

Source : Sud Ouest 29.8.24

PPL n°1, 14 novembre

Si la PPL d’Aymeric Caron a été la première à faire réagir, elle viendra en débat seulement après une autre PPL, au Sénat cette fois, avec le même objet (interdire la corrida et les combats de coq aux mineurs de moins de 16 ans), dès le 14 novembre. Elle sera présentée par Samantha Cazabone, ex-macroniste, dans la niche du Rassemblement des Démocrates Progressistes et Indépendants (RDPI), aux côtés d’Arnaud Bazin (LR). En 2019, elle avait déjà présenté un texte semblable, aux côtés d’Aurore Bergé, au nom de LREM, à l’AN.

Le lobby des corridas est d’autant plus furieux que le président du groupe RDPI au Sénat est François Patriat, pro-chasse et pro-corridas notoire, mais qui a accepté que Samantha Cazabone puisse bénéficier de la niche du groupe pour cette PPL. Bien sûr, tous les sénateurs ont reçu le contre-argumentaire de l’UVTF.

Julien Dubois, maire de Dax, président de l’UVTF, et Charles Dayot, maire de Mont de Marsan, le vice-président, sont montés au créneau :

Les maires de Dax et d’Arles étaient auditionnés par la commission des lois du Sénat ce lundi 28 octobre, pour s’opposer à cette PPL

André Viard (voir plus loin), président de l’ONCT, est évidemment en première ligne pour attaquer la PPL. Il s’en explique dans Sud Ouest du 22 octobre. L’interdiction aux mineurs menace l’existence même des corridas.

Dans un communiqué, André Viard, président de l’ONCT, avertit : « Ainsi qu’il est démontré dans le mémoire de rejet envoyé à tous les sénateurs, la PPL n°475 porte atteinte aux droits constitutionnellement garantis de l’enfant, de la famille et des collectivités. Cela suffit à la faire rejeter par une large majorité de sénateurs opposés à cette initiative dont l’objectif réel, dissimulé derrière « l’intérêt supérieur de l’enfant », est de rendre impossible à terme l’organisation des spectacles taurins ». Et André Viard d’expliciter l’objectif sous-jacent de la démarche : il ne s’agit pas d’interdire aux mineurs de seize ans d’entrer aux arènes, mais de pénaliser les organisateurs et acteurs d’un spectacle taurin si la présence d’un mineur de seize ans peut y être démontrée. « L’infraction ne serait plus constituée par le spectacle mais par la présence d’un mineur ».

Si on le comprend bien, André Viard a peur que les activistes anti-corridas, qui sont, selon lui coutumiers des intrusions dans des arènes n’introduisent de force des mineurs dans les enceintes Puis, qu’ils fassent constater cette présence par les gendarmes. « Aucune arène ne serait à l’abri, à moins de faire contrôler drastiquement par la gendarmerie ou la police nationale les pièces d’identité des spectateurs potentiellement mineurs, ce qui serait le plus souvent impossible faute d’effectifs suffisants, voire de volonté ». André Viard pointe donc le risque d’une multiplication d’infractions lourdement sanctionnées. Au final, selon lui, les anti-corridas veulent s’en prendre à la caisse des organisateurs, et ce serait mortel.

Des mouvements pro-corridas multiformes

Ce mouvement reste très localisé, dans le Sud-Est et dans 3 départements du Sud-Ouest (Landes, Gers et Pyrénées atlantiques). Il est politiquement varié. Mais à l’échelon national, les soutiens sont marqués à l’extrême-droite, sous couvert de défense d’une certaine ruralité.

Parmi ces mouvements, j’ai regardé de plus près ceux qui semblent les plus actifs du côté des Landes et du Pays Basque. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont les seuls dans cette région, ni que leurs actions se limitent à ces territoires

UVTF et Esprit du Sud.

https://www.uvtf.fr

L’UVTF est la plus officielle, avec 56 villes et 3 régions (Nouvelle Aquitaine, Occitanie et PACA) adhérentes. Elle est actuellement présidée par le maire de Dax, avec celui de Mont de Marsan à ses côtés. La ville de Bayonne y cotise, alors même que les doctrines qui s’étalent sur le site de l’UVTF sont contradictoires avec des politiques municipales écolo-compatibles, sur l’alimentation notamment

L’UVTF avait obtenu deux succès politiques majeurs : l’inscription en 2011 de la tauromachie sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel français. Mais elle en fut rayée en 2016 après 5 ans de bataille juridique devant les tribunaux administratifs. Ce qui n’empêche pas l’UVTF de continuer à se revendiquer de cette (fausse maintenant) inscription. La seconde victoire, pas encore remise en cause, est devant le Conseil Constitutionnel qui, en 2012, a jugé que l’exception culturelle dont bénéficie la tauromachie dans les régions de tradition est conforme à la Constitution.

En 2016, aux côtés de l’ONCT, l’UVTF a organisé au Sénat le colloque « L’Homme et les animaux : vers un conflit de civilisations ? ». Ce colloque se présentait comme « l’occasion, pour tous les secteurs agressés de manière discriminatoire par l’idéologie végane et animaliste, d’exprimer leurs préoccupations au sommet de l’État ».

A l’issue de cette réunion, une « Charte pour les libertés et la diversité des cultures » a été adoptée, en présence des principaux maires taurins. Cette charte se présente comme « directement inspirée de la Convention proclamée depuis Paris le 20 octobre 2005 par l’UNESCO, et portant sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. »

Il s’agit d’une interprétation abusive de la déclaration de l’Unesco qui mettait comme garde-fou que ces cultures traditionnelles ne devaient pas remettre en cause les droits de l’homme.

« L’Esprit du Sud » est une branche de l’UVTF, qui se présente comme un « mouvement citoyen transversal et apolitique », qui place la défense de la tauromachie au cœur de la défense d’une certaine ruralité, et qui porte l’évolution sémantique vers la défense des libertés culturelles.

Il est à l’origine d’une manifestation présentée comme historique le 18 septembre 2021 à Mont de Marsan, où, selon lui, « à l’appel du mouvement Esprit du Sud et de la Fédération de chasse des Landes  25 000 personnes  se sont réunies à Mont de Marsan : Chasseurs, veneurs, éleveurs, agriculteurs, aficionados, élus, écarteurs, échassiers et ganaderos unis pour revendiquer la diversité et la liberté des cultures ». Paradoxalement, la composition de cette manifestation montre qu’une culture taurine est large, peut exister sans corridas. Mais également, elle rappelle que derrière les « libertés culturelles », il y a toute une industrie tauromachique en quête de respectabilité.

(photo) manif mont de marsan

ONCT

https://www.culturestaurines.com/

L’ONCT vaut surtout pour son activité éditoriale et son hyperactif président, André Viard, un landais, ancien torero. Il en est à l’origine, en 2008. De même, il a impulsé la démarche « esprit du sud » pour essayer d’inscrire la corrida dans une ruralité élargie. Il est chargé de mission auprès de l’UVTF depuis 2016.

Il est célèbre pour comparer régulièrement les anti-corridas à un mouvement nazi.

Voir sa fiche dans wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Viard

La citation qui suit, extraite d’un de ses discours en 2022, en dit long sur le personnage :

« Le véritable danger provient aujourd’hui de deux idéologies mortifères pour la démocratie et la civilisation occidentale : l’anti spécisme, un anti humanisme qui prétend faire régresser l’homme au niveau des autres espèces, et le wokisme, monstrueuse volonté d’effacement de nos valeurs et de notre histoire, qui incarne les pulsions totalitaires de diverses minorités irrespectueuses du droit des peuples à préserver leur identité.
Cette même année 2016, nous avons initié la plateforme citoyenne Esprit du Sud qui, dans les Landes, le Gers, la Gironde, l’Hérault, les Bouches du Rhône et bientôt les Pyrénées Atlantiques, Orientales et l’Aude, regroupe les acteurs de la ruralité pour défendre ensemble nos cultures et nos filières.

Au macchartysme haineux de ceux qui veulent nous effacer au nom de notre supposé archaïsme, nous opposons le poids des mots et la force de nos convictions.

Dans nos sociétés modernes la mort est devenue tabou et l’ancien est déconsidéré, aussi bien l’homme que ses traditions.
Pour nous, la parole des anciens est toujours respectée car elle est empreinte de sagesse et nous osons regarder la mort en face, voire la défier en affrontant le taureau, ce qui nous rend insupportables aux yeux de populations timorées auxquelles nous devons rappeler que nous sommes un conservatoire de leur propre passé au travers de nos traditions.
Le retour du tragique dans le quotidien de l’Occident renverra tôt ou tard les idéologies mortifères dans les poubelles de l’histoire.
Et les valeurs que nous portons redeviendront essentielles dans des sociétés privées de racines, car ce sont les traditions qui ont toujours structuré les peuples tandis que la modernité ne fait jamais que les fractionne
r ».

Le blog https://corridasi.com

Parmi les voix tauromachiques locales les plus virulentes, on touve Pierre Vidal, célèbre à Bayonne pour son livre inoubliable « Jean Grenet, un testament tauromachique ». Se présentant comme journaliste et écrivain, il a publié de nombreux livres en défense de la tauromachie.

Il anime un blog corridasi sur l’actualité française et internationale des corridas. Il y a parfois plusieurs articles par jour. Son ton est particulièrement haineux contre Samantha Cazabonne, cible particulièrement visée au regard de la PPL du Sénat.

Pour lui, mais il n’est pas le seul, j’y reviendrai dans un autre billet, « la tauromachie et la culture la plus ancienne de l’humanité ». La tauromachie est plus qu’ancestrale…

Pas moins, on est en plein dans la mythologie. Et l’âge des cavernes justifierait les corridas aujourd’hui ?

Tradition ancestrale ou pur spectacle commercial, les corridas sont une apologie de la violence, une incitation à la violence, qui n’est pas sans lien avec l’ambiance détestable des fêtes de Bayonne.

Les deux PPL, demandant leur interdiction aux mineurs de 16 ans mettent en lumière le fait qu’elles sont une forme d’éducation à la violence, et ce n’est pas acceptable, encore moins dans les sociétés actuelles.

A une autre époque, les années 1970, l’éducation à la non-violence avait commencé à se diffuser dans les écoles. C’était beaucoup plus approprié.

Les photos sont reprises du site du CRAC (comité radicalement anti corrida)

Voir aussi

Patrick Petitjean 29 octobre 2024

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