
Sur le Bail Réel Solidaire
BRS : Bail Réel Solidaire
DAL : Droit Au Logement
En réponse à une question qui lui a été posée sur les BRS lors d’un meeting d’Alda cet automne, Jean-Baptiste Eyraud, dit Babar et grand chef fondateur du DAL a répondu « le BRS, c’est quoi ? ». Pour un mouvement, le DAL, qui s’occupe historiquement, et toujours prioritairement des mal-logés. L’accession à la propriété des classes moyennes n’est pas vraiment dans le périmètre du DAL national… dont Alda se veut le représentant local.
Le BRS a été conçu comme un moyen de lutte contre la spéculation foncière par la loi ALUR (Duflot, 2014). Il sépare le foncier, qui reste propriété publique, du bâti, qui est vendu à un futur propriétaire, avec obligation de servir de résidence principale. C’est un logement semi-public. Le prix de vente est donc largement inférieur aux prix du marché, ce qui range ces logements dans de l’accession sociale, et leur permet de figurer dans le décompte des logements sociaux au titre de la loi SRU (voir mon 2e billet sur la question)
Pour le foncier, un propriétaire verse une redevance mensuelle à un OFS (Office Foncier Solidaire). Le BRS plafonne l’augmentation du prix de revente au seul indice de référence des loyers (IRL). C’est donc un moyen « robuste » de lutte anti-spéculatif.
Mais ce n’est pas un instrument pour loger les classes populaires, les jeunes, les précaires, les décohabitants, les familles monoparentales, ceux et celles qui bougent ou qui n’ont accès ni à l’emprunt pour acheter ou à la location dans le privé… pour lesquels la location publique (logements de type PLAI et PLUS) est indispensable.
C’est à quoi le maire de Bayonne, Jean-René Etchegaray, sous doute énervé par l’intervention de l’élu écolo, s’est laissé aller lors du conseil municipal de décembre 2022 : « Il convient de déterminer pour qui s’adressent les logements sociaux, tous n’étant pas similaires. Ainsi, le BRS s’adresse à la classe moyenne voire supérieure. Or la commune a besoin de PLAI et de PLUS pour répondre aux attentes de la population des quartiers ». Et encore « Veut-on permettre à nos enfants et nos petits-enfants nés ici et ayant grandi ici de rester ici ? »
En terme de politiques publiques, les BRS ont de nombreux avantages :
– antispéculation (pas de plus-value à la revente) et pas d’évaporation vers un meublé de tourisme.
– pérennité des réserves foncières publiques facilitant les prêts pour de nouvelles constructions
– logement des classes moyennes, ce qui est une difficulté réelle, au vu de l’explosion des prix. Les BRS sont accessibles sous le même plafond de ressources que les PLS ou PSLA
On comprend aussi l’intérêt des bailleurs : se décharger de la gestion vers des copropriétés en s’appuyant sur l’aspiration à devenir propriétaire. Les éventuelles copropriétés dégradées, dans quelques années, ne seront pas leur affaire.
L’intérêt des maires est double : remplir plus facilement les objectifs de la loi SRU, sans construire autant qu’exigé des locatifs sociaux. Et, pour les plus réacs d’entre eux, avoir une politique de peuplement limitant le poids des classes populaires dans leur ville. Comme le disait Jean Grenet (dont Etchegaray était l’adjoint à l’urbanisme) voici plus de 10 ans alors qu’il était maire de Bayonne en soulignant la part de logement social à Bayonne (environ 26 %), pour s’en féliciter, mais aussi pour se tourner vers « les autres ». À savoir les voisins de la Côte basque. « Je me tourne vers eux et je dis »à vous ! ».» Le maire bayonnais estime qu’il « n’y a pas de raison pour qu’une seule ville soit le réceptacle de toute la misère du monde et que les autres s’exonèrent de cette mission ». (Sud Ouest 10/02/2012)
L’intérêt des propriétaires est d’acheter en dessous des prix du marché. Mais il y a un piège : la redevance : quel montant, et pour combien de temps. Les bailleurs répartissent le coût de construction entre le montant de la redevance et le prix en m² du bâti. On a vu des redevances de plusieurs euros par mois par m², ce qui permet des prix de sortie attractif pour les acheteurs. Pourtant, si l’on calcul le montant total versé en redevance sur la durée typique d’un emprunt (30 ans), cela peut doubler le prix réel d’achat…
Pour cela, Herrian Bizi propose de mieux réguler les redevances, en les limitant à 1 ou 1,5 euros mensuel par m², et de passer à une redevance minime, symbolique, quand l’OFS a fini de rembourser les emprunts pour l’acquisition de son foncier, cette redevance résiduelle permettant de dégager des fonds propres pour l’OFS.
Intérêt, pour les politiques publiques, intérêt pour les bailleurs, élus, futurs propriétaires : en peu d’années, il y a eu explosion des OFS et des BRS. En 5 ans, des dizaines d’OFS ont été créés. Au Pays basque, il y en a 4, tous les bailleurs (COL, HSA, Office 64 ont le leur ainsi que l’EPFL). Aujourd’hui, quelle ville n’a pas ses projets de BRS ? On n’est pas loin du tout BRS.
Les effets pervers ont été immédiats.
Le PLH (programme Local de l’Habitat) adopté n 2021 par la CAPB préconisait la production de 1200 logements sociaux par an, dont les 2/3 de locatifs et le 1/3 en accession.
En 2021, sur la CAPB, 491 locatifs sociaux ont été agréés, contre 32 en locatif intermédiaire (PLS) et 180 en accession (dont 163 BRS).
En 2022, ce sont 571 locatifs sociaux, contre 69 en locatif intermédiaire et 671 en accession (tous BRS).
On est donc très loin des objectifs du PLH en matière de locatifs sociaux (800, déjà jugés insuffisants par les associations concernées, très loin dela moyenne entre 2011 et 2018, proche de 900, même s’il s’agit d’une reprise en regard de 2019 et 2020.
Surtout, en voit que les BRS « mangent » la part des locations sociales : en 2022, on est au-dessus des 1200 logements sociaux préconisés par le PLH, mais près de 60 % sont des BRS au lieu du 1/3 préconisé.
Il y a certes de fortes contraintes nationales, politiques et économiques qui pèsent sur la construction de logements sociaux, mais pour cette explosion des BRS et cette insuffisance des locations sociales, c’est une question de choix politiques au niveau de la CAPB et des maires. S’ils en ont la volonté politique, d’autres choix sont possibles. A suivre dans le 4e billet.
Patrick Petitjean 24/03/23